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— Cela dura deux ans, reprit-il après un silence et d’une voix tremblante ; — au bout de deux ans Jean Blanc revit des soldats de France et des gens de l’impôt. Vaunoy avait découvert sa retraite : sa pauvre cabane fut de nouveau envahie. Une première fois il les chassa ; ils revinrent en son absence, et un lâche, — un soldat du roi ! — outragea Sainte, qui n’avait pour défense que le berceau de sa fille endormie.

« Je ne te conterai pas ce qui suivit ; je ne le pourrais pas, mon homme, car mon sang bouillonne, et, au moment où je te parle, il me faut mes deux mains pour contenir les battements de mon cœur.

« Sainte mourut en priant Dieu pour Jean et pour sa fille… »

Pelo Rouan s’interrompit encore. Sa voix défaillait.

— Sur ma foi, grommela Jude, il est de fait que le bon garçon ne doit pas aimer beaucoup les gens du roi de France.

— Il les hait ! s’écria Pelo avec explosion, — et moi, tout ce qu’il hait, je le déteste… Ah ! l’un d’eux voudrait faire à la fille ce qu’un autre fit à sa mère… ma pauvre Sainte !… Mais, sur mon Dieu, ami Jude, il y a un vieux mousquet qui veille autour de Fleur-des-Genêts : une bonne arme, portant loin et juste… Puisque tu sers le capitaine Didier, conseille-lui, crois-moi, de borner ses désirs à la fille de son hôte et d’oublier le chemin des sentiers perdus que fréquente Marie.

— J’ignore les secrets du capitaine, répondit Jude avec froideur ; — je sais seulement qu’il est généreux et loyal. Si quelqu’un l’attaque traîtreusement ou en face, sauf le service de Treml, mon aide ne lui fera point défaut.

— À ta volonté, mon homme…

« Jean Blanc chargea sa fille sur ses épaules et traversa de nouveau la forêt. Il avait la mort dans le cœur, et sa tête roulait cette fois des projets de vengeance. La vue du lieu où avait été assassiné son père raviva d’anciens souvenirs. Le passé et le présent se combinèrent ; une haine immense, implacable, fermenta dans son âme.

« Il se trouva que, vers cette époque, les pauvres gens de la forêt, traqués à la fois par l’intendant royal et les seigneurs des terres, qui, à l’instigation de Vaunoy, avaient fait dessein de les chasser de leurs domaines, relevèrent la tête et tentèrent d’opposer la force à la force. Ils continuèrent d’habiter le jour leurs loges ; mais la nuit, ils se rassemblèrent dans les grands souterrains de la Fosse-aux-Loups, dont au moment du besoin un homme leur enseigna le secret.

« Cet homme était Jean Blanc, qui avait découvert autrefois la bouche de la caverne, à quinze pas de son ancienne loge, derrière les deux moulins à vent ruinés.

« Un jour, au temps oh Jean Blanc était faible, il avait dit : Le lapin se fait loup pour protéger ceux qu’il aime. — Jean Blanc avait vu mourir ou disparaître tous ceux qu’il aimait : il ne pouvait plus protéger ; ce fut pour venger que le lapin se fit loup. »

— On m’avait dit quelque chose comme cela, interrompit Jude.

— Ce fut vers le même temps, reprit le charbonnier, que je vins m’établir dans cette loge. Pour des motifs que tu n’as pas besoin de connaître, je pris avec