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times lui échapper, Vaunoy, — cet homme au visage doucereux et souriant, qui assassine sans froncer le sourcil, — Vaunoy ordonna aux soldats d’incendier la loge. On alluma des fascines à l’aide d’une batterie de fusil, et bientôt une flamme épaisse entoura le lit de mort du vieux serviteur de Treml ! »

— Les misérables ! s’écria Jude ; — et que fit Jean Blanc ?

— Attends donc ! dit Pelo Rouan, dont les dents serrées semblaient vouloir retenir sa voix ; — Jean ne bougea pas tant que les assassins restèrent autour de la loge, riant comme des sauvages et blasphémant comme des démons. Quand ils se retirèrent, Jean s’élanca hors de sa cachette, pénétra dans la loge en feu, et prit le cadavre de son père qu’il emporta dehors, afin de lui donner plus tard une sépulture chrétienne. — Il ne fit point en ce moment de prière ; à peine mit-il un court baiser sur le front du vieillard, desséché déjà par le vent brûlant de l’incendie.

« Jean Blanc n’avait pas le temps.

« Il saisit le fusil qu’il avait caché sous les ronces, le chargea et descendit en trois bonds le ravin, dont il remonta de même la rampe opposée. Puis il s’élança tête première dans le fourré. Les assassins avaient de l’avance ; mais le vent d’équinoxe ne va pas aussi vite qu’allait Jean Blanc poursuivant les meurtriers de son père. »

— Bien cela ! s’écria Jude, bien, Jean Blanc, mon garçon !

— Attends donc !… Avant qu’ils eussent atteint la lisière du fourré où étaient attachés leurs chevaux, un coup de fusil retentit sous le couvert. Le collecteur tomba pour ne plus se relever. »

Jude battit des mains avec enthousiasme.

— Et Vaunoy, dit-il, et Vaunoy ?

— Vaunoy devint plus pâle que le corps mort du vieux Mathieu. Il tremblait ; ses dents s’entrechoquaient. — Hâtons-nous, hàtons-nous ! dit-il.

« Ils se hâtèrent ; mais au moment où ils atteignaient leurs chevaux, on entendit encore un coup de fusil. — Le soldat qui avait brisé, sur la table, le vase qui contenait le remède de Mathieu Blanc poussa un cri et se laissa choir dans la mousse. »

— Mais Vaunoy ? mais Vaunoy ? interrompit Jude.

— Attends donc !… Ils montèrent à cheval. La terreur était peinte sur tous les visages naguère si barbarement insolents. Ils prirent le galop, croyant se mettre à l’abri… Insensés !… Jean Blanc ne savait-il pas comment abréger la distance ? La route tournait ; Jean Blanc allait toujours tout droit. Point de taillis assez épais pour arrêter sa course, point de ravin si large qu’il ne pût franchir d’un bond… Aussi, à chaque coude du chemin, le vieux mousquet faisait son devoir. C’était une bonne arme, je te l’ai dit, et Jean Blanc tirait juste.

« À chaque détonation qui ébranlait la voûte du feuillage, un homme chancelait sur son cheval, et tombait. Jean Blanc les chassait au bois, et pas une seule fois il ne brûlait sa pondre en vain.

« De temps en temps, ceux qui restaient essayaient de battre le fourré pour détruire cet invisible ennemi qui leur faisait une guerre si acharnée. Plus d’une balle siffla aux oreilles de Jean Blanc, tandis qu’il rechargeait son arme derrière