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Mais il était seul. Auprès de lui, un homme dormait à qui le remords arrachait dans ses songes de sinistres paroles. Jean écoutait ; il surprenait, ça et là, quelques mots confus qui étaient toujours les mêmes : crimes ! enfer ! assassin !

Sa tête se perdait.

Ses tempes s’inondaient d’une sueur froide ; le pacte sanglant qu’il avait signé lui apparaissait tout à coup, rigoureux et impossible à éluder. Sa main s’ouvrait, frémissante, comme pour lâcher le manche du couteau…

Il ne voyait plus Fritz ; mais il entendait son souffle rauque, et le souvenir lui montrait dans la nuit la figure hâve et lugubre de son compagnon. Parfois, lorsque la diligence arrivait aux relais, les lanternes de la poste égaraient un rayon jusque dans l’intérieur de la rotonde. La figure livide du courrier sortait alors de la nuit ; Jean voyait alors ses yeux ouverts et immobiles comme ceux d’un mort.

Quand la voiture s’éloignait, quand l’obscurité devenait plus opaque, Jean avait du froid dans les veines ; cette tête effrayante, que lui cachait la nuit, surgissait vaguement illuminée. Jean avait beau fermer les yeux, il la voyait à travers ses paupières closes ; il essayait de prier et il ne pouvait pas ; il pensait alors au démon, et il se disait, affolé par l’épouvante, que Satan avait ratifié le pacte, et qu’il y avait là, près de lui, un être venu de l’enfer.

Puis d’autres pensées traversaient son délire. Il prenait le bruit continu des roues pour le sourd fracas de la mer prête à l’engloutir.

C’étaient ensuite les mille voix murmurantes d’une grande foule qui l’entourait, qui le pressait, qui l’étouffait ; parmi ce murmure, les chants qui tombaient de l’impériale grinçaient douloureusement à son oreille, et le blessaient à l’âme comme une poignante moquerie.

Il s’éveillait pour se retrouver seul, glacé, tremblant, dans les ténèbres pleines de terreur.

Dieu, impitoyable, n’entendait point sa plainte. La fièvre le secouait ; ses dents claquaient.

Hélas ! bien loin, bien loin, dans la nuit éclairée de ce Paris qui fuyait, il entrevoyait deux fantômes aux formes indécises qui glissaient vers lui, les bras entrelacés, les yeux émus, les bouches unies…