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— Un brave jeune homme…

— Un ennemi de la Bretagne, poursuivit Rouan avec amertume, et mon ennemi à moi… Mais il ne s’agit point de lui, et son compte ne sera pas long à régler désormais… Revenons à Treml.

Jude remit son épée dans le fourreau, et tous deux s’assirent de nouveau sans défiance l’un près de l’autre.

— Vous avez été généreux, dit Jude, car je vous avais rudement attaque. Aussi, je ne vous demanderai point qui vous a rendu maître du secret de notre monsieur. Entre vos mains il est en sûreté ; je me fie à vous, comme vous à moi… Touchez là, s’il vous plaît.

— De grand cœur, mon homme… Jean Blanc, qui est, je puis le dire, un autre moi-même, m’a souvent parlé de vous. Vous étiez miséricordieux pour le pauvre insensé… Merci pour lui, qui s’en souvient, ami Jude, et qui pourra peut-être vous rendre quelque jour le bien que vous lui avez fait.

— Qu’il le rende à Treml, le pauvre garçon !

— Il a fait ce qu’il a pu pour Treml, dit Pelo Rouan avec tristesse et solennité.

— Sans doute… mais ce qu’il pouvait était, par malheur, peu de chose.

— Autrefois, il en était ainsi, parce que Jean Blanc ne savait rendre que le bien pour le bien… Depuis, il appris à rendre le mal pour le mal, — et il est devenu fort.

— N’est-il donc plus fou ? demanda Jude.

— Dieu nous envoie parfois des épreuves si violentes que les gens sains en perdent l’esprit, répondit Pelo Rouan ; — ces secousses rendent la raison aux insensés… Jean Blanc n’est plus fou.

— Et a-t-il conservé la mémoire des faits depuis longtemps passés ?

— Il se souvient de tout.

— Il faut que je le voie ! s’écria Jude.

Un imperceptible tremblement agita la paupière de Pelo Rouan.

— Voir Jean Blanc ! dit-il d’une voix étrange ; — il y a bien longtemps que personne n’a pu se vanter de l’avoir rencontré face à face sous le couvert… Croyez-moi, mon homme, contentez-vous de m’interroger moi-même et ne cherchez pas à joindre Jean Blanc.

— Mais il pourrait me dire peut-être…

— Rien que je ne puisse vous apprendre.

— Pourtant…

— Il m’a tant de fois ouvert son cœur et ses souvenirs !… Écoutez. Voulez-vous que je vous raconte le lâche assassinat de l’étang de la Tremlays ?… J’en sais les moindres circonstances… Il me semble voir l’infâme Hervé de Vaunoy.

— Contez ! contez ! interrompit Jude avidement ; je ne hais point encore assez cet homme.

Pelo Rouan raconta dans le plus minutieux détail le meurtre horrible dont Vaunoy s’était rendu coupable sur la personne d’un enfant de cinq ans, petit-fils de son bienfaiteur. Il parla longtemps, et Jude l’écouta constamment avec une religieuse attention. La mort de Job arracha une larme au vieil écuyer,