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que le château de la Tremlays eût gardé son dépôt aussi fidèlement que le chêne de la Fosse-aux-Loups !

Ces derniers mots dirent tressaillir Jude sur son banc.

— Le chêne de la Fosse-aux-Loups ! balbutia-t-il. — Le creux du chêne de la Fosse-aux-Loups.

Si l’obscurité eût été moins épaisse, on eût pu voir Jude changer de couleur dans l’espace d’une seconde. Il prit entre ses doigts de bronze le bras du charbonnier, et le serra convulsivement.

— Qui que tu sois, tu en sais trop long, dit-il d’une voix basse et menaçante.

Le bras de Rouan était bien frêle pour appartenir à un homme de sa taille. La force de Jude était si évidemment supérieure qu’il semblait que le bon écuyer n’eût qu’un geste à faire pour renverser son hôte sous ses pieds. Néanmoins, celui-ci garda une contenance tranquille et se renferma dans un hautain silence.

— Qui t’a dit cela ? poursuivit Jude avec une exaltation terrible. Sur mon salut il faut que tu donnes ton âme à Dieu, car tu as surpris le secret de Treml, et c’est moi qui suis le gardien de ce secret.

Et Jude, sans lâcher le bras de Rouan, porta vivement la main à son épée.

Mais, pendant que le bon écuyer dégainait, le maigre bras de Pelo Rouan tourna entre ses doigts robustes ; les muscles de ce bras se tendirent et devinrent d’acier. Jude voulut serrer plus fort, et ses doigts choquèrent la paume de sa main, qui était vide.

D’un bond, Pelo avait franchi toute la longueur de la loge. Jude n’apercevait plus que le rouge éclat de ses yeux qui brillaient de loin dans l’ombre. Il se précipita impétueusement de ce côté ; le bruit de deux pistolets qu’on armait ne l’arrêta point ; mais dans sa course, il heurta du pied une escabelle renversée et tomba lourdement sur le sol.

À l’instant même, le genou de Pelo Rouan s’appuya sur sa gorge.

— Si tu te relèves, tu me tueras, mon homme, dit le charbonnier avec calme ; c’est pourquoi, si tu essayes de te relever, je te tue.

Jude sentit sur sa tempe le froid d’un pistolet.

— La vieillesse ne t’a point changé, reprit Pelo ; — brave cœur et cervelle bornée… Que veux-tu que je fasse de ton secret ? et si les cent mille livres m’eussent tenté, seraient-elles encore au creux du chêne ?

— C’est vrai, dit pour la troisième fois le pauvre Jude ; — mais je ne sais pas qui vous êtes…

— Peut-être ne le sauras-tu jamais… que t’importe ? Je t’ai laissé voir que je suis l’ami de Treml, et Treml, vivant ou mort, a-t-il trop d’amis pour que deux d’entre eux ne daignent point s’expliquer avant de s’entr’égorger, lorsque la Providence les rassemble ?

— Je suis à votre merci, murmura Jude. Puisse Dieu permettre que vous soyez un ami de Treml !

Pelo Rouan ôta son genou et Jude se releva.

— Ramasse ton épée, dit le charbonnier ; j’ai confiance en toi, bien que tu te sois fait valet d’un Français…