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C’était une grande chambre carrée, sans fenêtre, ou dont les fenêtres étaient hermétiquement bouchées. Le plafond était si bas, que l’écuyer s’étonna de ne l’avoir point touché du front, tandis qu’il était debout. Dans l’un des angles opposés à la porte, une planche inclinée, recouverte de paille, servait sans doute de lit à l’un des habitants de cette pauvre retraite. Le reste de l’ameublement consistait en deux bancs et quelques escabelles qui entouraient une table de bois simplement dégrossi. Rien dans tout cela qui pût servir au sommeil d’une jeune fille. Marie devait avoir une autre retraite.

Entre Jude et le jour il y avait la silhouette entièrement noire d’un homme assis, comme lui, sur un banc. Les deux points ronds et lumineux que Jude avait aperçus dans l’obscurité se trouvaient maintenant entre lui et le jour : c’étaient les yeux de cet homme.

— C’est vous qui êtes le charbonnier Pelo Rouan ? lui demanda Jude.

— Je suis en effet celui qu’on nomme ainsi, mon compagnon ; — et je te le répète : sois le bienvenu dans ma maison ; je t’attendais.

— Vous me connaissez donc ?

— Peut-être bien, mon homme.

— Moi, je ne puis dire si je vous connais, car je ne vois pas votre visage.

Pelo Rouan se leva en silence, prit la main de Jude et le conduisit au seuil. Là il exposa en plein sa face noircie aux rayons du jour.

— Je ne vous connais pas ! dit Jude après l’avoir attentivement examiné.

Pelo Rouan regagna sa place première, et Jude le suivit.

— Tu as raison, dit lentement le charbonnier ; tu ne me connais pas. Cette loge a été bâtie longtemps après le départ de Nicolas Treml… mais ce n’est pas pour me parler de toi ou de moi que tu as quitté le château ?

— C’est vrai. Je suis venu vers vous…

— Tu as bien fait, interrompit Pelo Rouan, et tu fais toujours bien, Jude Leker, parce que ton cœur est fidèle et loyal… Quant au motif de ta visite, point n’est besoin de me l’apprendre, je le sais.

— Vous le savez ! répéta Jude avec surprise.

— Je le sais… Tu viens me demander des nouvelles d’un malheureux qu’on appelait Jean Blanc.

— Serait-il mort ? s’écria Jude.

— Non… Et tu veux savoir de ses nouvelles, afin d’apprendre de lui le sort de l’héritier de Treml.

— C’est vrai ! c’est encore vrai ! murmura Jude, dont l’honnête mais lourde nature était violemment secouée par ce qu’il y avait de bizarre dans cet incident imprévu. — Vous qui connaissez l’unique but de ma vie, au nom de Dieu, qui êtes-vous ?

— Je suis le charbonnier Rouan, répondit Pelo avec simplicité ; — un pauvre homme dont la vie obscure fut cruellement éprouvée, un homme qui a quelques bienfaits à payer et bien des outrages à venger.

— Et savez-vous quelque chose du petit monsieur Georges ?

La voix de Pelo se fit profondément triste pendant qu’il répondait :

— Je ne sais rien, rien que ce que vous savez vous-même… Plût au ciel