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M. de Pontchartrain, premier intendant royal, et après lui, M. Béchameil, marquis de Nointel, ayant pris, suivant la coutume, à forfait la levée de l’impôt breton, avaient un intérêt évident à ne laisser aucune partie de la province se prévaloir d’une exemption uniquement fondée sur l’usage. Ils voulurent forcer les gens de la forêt à solder leur part des tailles, et ne reculèrent devant aucune extrémité pour en venir à leurs fins.

C’était ce que Jude appelait demander la bourse ou la vie.

Quant aux gentilshommes, leur intérêt était autre, mais également évident. Les hommes de la forêt, disséminés sur les divers domaines qui formaient la majeure partie de cette énorme tenue, prétendaient droit d’usage gratuit et grevaient par le fait ces domaines d’une véritable et lourde servitude. Tant que Nicolas Treml avait vécu, comme il possédait, lui seul, autant et plus de biens que tous les aitres gentilshommes ensemble, ces derniers s’étaient modelés sur lui. Or, Treml était un vrai seigneur, doux au faible, rude au fort, et plus disposé à faire l’aumône à ses pauvres voisins qu’à leur disputer le chétif soutien de leur existence.

Lorsqu’il abandonna le pays, Vaunoy prit sa place et mit sa lésinerie de gentillâtre dans toutes les affaires que son cousin avait traitées en gentilhomme. Les propriétaires des alentours, autorisés par ce nouvel exemple, firent de même, et ce fut bientôt de toutes parts un système d’attaque et de compression contre les malheureux habitants de la forêt.

D’un côté, le fisc, de l’autre, les propriétaires. — Celui-là leur arrachait leurs faibles épargnes, ceux-ci leur enlevaient tout moyen de vivre. Les gens de la forêt, nous croyons l’avoir déjà dit, ressemblaient plus au sanglier qu’au lièvre ; néanmoins, dans le premier moment, traqués, poursuivis de toutes parts, ils ne cherchèrent leur salut que dans la fuite, et se cachèrent au fond des retraites ignorées qui pullulaient alors dans le pays. Mais leur naturel farouche et belliqueux supportait impatiemment cette tactique pusillanime ; pour combattre ils n’avaient besoin que de se concerter. Au premier appel ils se levèrent. Les épais fourrés de la forêt vomirent inopinément cette population sauvage, et mal en prit aux agents du fisc aussi bien qu’aux avares propriétaires qui avaient suscité cette tempête. Bien des cadavres jonchèrent la mousse des futaies, bien des ossements blanchirent sous le couvert, et, par les nuits noires, plus d’une gentilhommière attaquée à l’improviste porta la peine de la cupidité de son maître.

On fit venir des soldats de Rennes et de toutes les villes environnantes ; mais, à mesure que l’attaque s’opiniâtrait, la résistance s’organisait plus puissante. Il devint évident que les insurgés (car leur nombre et leurs griefs défendaient qu’on les appelât bandits) avaient un chef habile et résolu, dont les ordres quels qu’ils fussent, étaient suivis avec une aveugle soumission. Le moment vint où la défense, conduite avec un ensemble merveilleux, déborda l’attaque. Les rôles changèrent. Les opprimés devinrent agresseurs, et un beau jour, cinq mille paysans en sabots, le visage couvert de masques bizarres, firent irruption jusqu’à Rennes, et pillèrent l’hôtel de M. le lieutenant du roi.

De ce moment la terreur se mit de la partie. L’insurrection acquit ce prestige