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— Je ne saurais vous le dire, monsieur.

— De mieux en mieux !… Mais, saint-Dieu ! c’est a n’y point croire. Vous oubliez, Alix, que je pourrais vous contraindre, vous confiner dans votre appartement.

— J’espère que vous ne le ferez point. — Et si je le faisais, saint-Dieu ! s’écria Vaunoy véritablement en colère. — Monsieur, dit Alix, en retenant sa voix qui voulait éclater, je vous respecte et je vous aime mais il y a longtemps que mon silence trompe M. de Béchameil, et c’est à cause de vous que je me tais… si je parlais…

Elle s’arrêta, honteuse d’avoir été sur le point de menacer, mais Vaunoy avait compris, et sa colère était tombée comme par enchantement. Il appela sur son visage, fait à ces brusques changements, une expression de grosse gaité.

— Vous êtes une méchante enfant, Alix, dit-il en la baisant bruyamment au front. Vous savez que je n’ai rien à vous refuser, et vous abusez de votre pouvoir, qui marche à grands pas vers la tyrannie… Petite folle, ce que j’en disais était curiosité pure. Je voulais surprendre ce grand secret, mais vous m’avez vaincu, et je n’engagerai plus avec vous de combats de paroles… Je lancerai contre vous, en guise d’avant-garde, si le cas se présente, mademoiselle Olive de Vaunoy, ma digne sœur… et alors tenez-vous bien, je vous conseille.

Alix ne se méprit point à cette gaîté soudaine. Vaunoy avait raison de le dire : malgré sa vieille expérience d’intrigant, il n’était point de force à lutter contre la hautaine droiture de sa fille. C’était de la part du maître de la Tremlays de la diplomatie prodiguée en pure perte.

— Je suis heureuse de vous entendre parler ainsi, mon père, dit seulement Alix.

— Heureuse ?… Allons, soyez clémente, et prenez un peu de compassion de ce pauvre M. de Béchameil… mais cela viendra, et il sera temps d’en parler plus tard.

Il tira sa montre.

— Onze heures déjà, murmura-t-il…Allons, ma fille, je vous laisse et vous donne carte blanche, sûr que ma confiance est bien placée… Au revoir !…

Il fit un geste familier et caressant auquel Alix répondit par une respectueuse révérence et se hâta de regagner son appartement, ou ses deux ministres l’attendaient, l’un en philosophant, comme peut faire un saltimbanque émérite, l’autre en ronflant à la manière des justes et des ivrognes.

Lorsque Alix fut seule, son beau visage perdit son expression de calme fierté. Un morne découragement se peignit dans son regard.

— Le revoir, murmura-t-elle ; subir encore cette galanterie banale qu’il me jette comme une consolation ; lire la pitié dans son sourire, et ne pouvoir me relever à ses propres yeux qu’en plaidant la cause d’une rivale !…

Elle avait descendu sans savoir les escaliers intérieurs et les degrés de granit du perron. Elle se laissa tomber sur un banc de gazon à l’entrée du jardin, et mit sa tête pâlie entre ses mains.