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avec foule de jeunes femmes, M. de Vaunoy ne se serait point trompé de beaucoup.

Or, en épousant Béchameil, Alix aurait tout cela à profusion, à souhait, outre souhait. Le souvenir de Didier ne serait qu’un colifichet de plus, car il est bon qu’une femme ait au fond de sa mémoire une corde qui vibre tendrement aux heures de migraine ou de vapeurs. Une femme, toujours suivant ce vieux larron de Vaunoy, eût-elle les équipages d’une reine et les diamants d’une juive, n’a pas tout ce qu’il faut lorsqu’elle manque de ce mélancolique hochet, tendre ressentiment d’un amour malheureux et lointain, qui met des larmes dans ses yeux aux instants où son cerveau demande à pleurer.

En ce moment Vaunoy était à la gêne. Alix le dominait de toute la hauteur de sa franchise. Pour la millième fois, peut-être, il se repentit d’avoir usé de ruse avec elle, reconnaissant trop tard que la ruse s’émousse contre la candeur. Trop vil pour ressentir dans toute sa force l’angoisse qui serre le cœur d’un père surpris par son enfant en flagrant délit de tromperie, il était néanmoins humilié de son rôle et fit effort pour jeter son masque loin de lui.

— Alix, dit-il tout à coup en jouant passablement la rondeur, — j’ai tort d’en user ainsi avec vous. Pardonnez-moi. Vous méritez ma confiance entière, et je veux dépouiller tout subterfuge… Vous savez ce que je veux ; vous devinez peut-être pourquoi je le veux… tromperez-vous mes espérances ?

— Je ferai ce que j’ai promis, monsieur ; rien de plus, rien de moins.

Vaunoy respira.

— Cela suffit, dit-il. Le temps est un puissant remède aux répugnances capricieuses des jeunes filles ; pour le moment, je vous demande seulement de ne point voir le capitaine Didier.

— Je l’ai vu déjà, monsieur, répondit Alix.

— Ah !… Et vous lui avez parlé ?

— Je lui ai parlé.

— De sorte que cette froideur affectée était un rôle appris, un mensonge !…

Alix ne se redressa point pour prendre cette posture de maître en fait d’armes à l’aide de laquelle les comédiennes croient exprimer l’indignation de la vertu offensée ; elle ne leva point au ciel ces prodigieux regards que les mêmes comédiennes dardent vers le cintre, lorsqu’elles veulent prendre le lustre à témoin de leur innocence.

— Mes actions ne mentent pas plus que mes paroles, dit-elle avec simplicité. Rassurez-vous, monsieur. J’ai la volonté de tenir ma promesse, et, dussé-je en mourir, je la tiendrai… D’ailleurs, ajouta-t-elle plus bas et avec une légère rougeur sur la joue, ma volonté n’est pas votre seule garantie : le capitaine Didier ne m’aime pas.

— En vérité ! s’écria Vaunoy avec une joie brutale.

Puis, sans prendre souci du mal que ses paroles pouvaient faire à sa fille, il poursuivit presque aussitôt :

— Voilà une heureuse nouvelle, Alix, que ne le disiez-vous tout de suite, ma chère enfant ? Ah ! le capitaine ?… cet impertinent soldat de fortune !

Il prononça ces derniers mots d’un ton de pitié ironique qui eût profondément