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à Hervé de Vaunoy, prit à tâche de l’excuser et de la motiver, ce qu’il fit à sa manière.

— Je vous répète, monsieur mon ami, dit-il, que vous n’aurez rien, absolument rien à débourser.

— Laissons cela, interrompit Vaunoy.

— Permettez. Je suis, — vous me faites, j’espère, l’honneur d’en être persuadé, — un sujet fidèle et dévoué de Sa Majesté. Ma pauvre maison est fort à son service, depuis les fondements jusqu’aux combles… y compris, bien entendu, les étages intermédiaires… mais il s’agit de cinq cent mille livres tournois. — Cinq cent mille livres tournois… répéta lentement le maître de la Tremlays.

— Tout autant, monsieur mon ami… il y a même quelques écus de plus… Si cette somme était enlevée, mon aisance, qui est honnête, serait terriblement réduite… Or, — suivez bien, — ma Folie n’est point propre à soutenir un siège, et si les Loups…

Vaunoy haussa les épaules avec affectation.

— M. l’intendant a raison, dit le capitaine, qui, depuis dix minutes, n’apportait plus à la discussion qu’une attention fort médiocre.

— Permettez, dit encore Béchameil, répondant au geste de Vaunoy, je serais mortifié que vous puissiez croire… — Allons déjeuner, interrompit en souriant le maître de la Tremlays.

Le coup était d’un effet sûr : il porta. Béchameil remua convulsivement les mâchoires, comme s’il eût voulu parfaire son explication ; mais il ne put que répéter ces mots qui éveillaient les plus tendres échos de son cœur :

— Allons déjeuner.

Vaunoy s’appuya familièrement sur le bras de Didier. Béchameil, les narines gonflées et saisissant au vol parmi les effluves épandues dans l’air toutes celles qui venaient de l’office, ouvrit la marche. En chemin il fut décidé que le convoi d’argent partirait de Rennes le lendemain. De la ville au château l’étape, était courte, mais les routes de Bretagne, en l’an 1740, étaient tracées de manière à quadrupler la distance.

Béchameil, malgré la proéminence suffisamment notable de son abdomen, monta le perron en trois sauts. Une minute après, il nouait sa serviette autour de son menton et dégustait savamment un salmis d’ailerons de bécasses, qu’il déclara sans pareil et fêta en conscience.

Hervé de Vaunoy ne resta point oisif durant cette matinée. Le déjeuner était à peine fini, et M. Béchameil venait de s’étendre sur un lit de jour pour se livrer à cet important devoir que les gourmets ne doivent négliger jamais, la sieste, lorsque M. de Vaunoy, quittant Didier sous un prétexte d’autant plus facile à trouver que le jeune capitaine ne tenait point extraordinairement à sa compagnie, se dirigea d’un air soucieux et affairé vers son appartement.

— Qu’on m’envoie sur-le-champ Lapierre et maître Alain, dit-il à un valet qu’il rencontra sur son chemin.

Le valet se hâta d’obéir, et Vaunoy poursuivit sa route ; mais, ayant jeté par hasard un regard distrait à travers les carreaux de l’une des croisées du cor-