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messieurs, de vous prévenir deux heures à l’avance. — Cela suffira, dit Vaunoy, qui semblait résolu à tout approuver.

— Monsieur mon ami, s’écria Béchameil exaspéré, je ne vous comprends pas !

Vaunoy lui serra fortement la main. C’est là un signe que les intelligences, même les plus épaisses, comprennent par tous les pays. Le financier se tut instinctivement.

— Je pense, mon cher hôte, demanda Vaunoy du ton de la plus cordiale courtoisie, que ces mesures dont vous parlez forment la dernière partie de votre plan. Avant de vous fortifier, vous vous occuperez sans doute de convoyer les espèces qui vous attendent à Rennes, — car on dit que la cassette du roi est vide, ou peu s’en faut.

— Tel est en effet mon projet, monsieur.

— Donc, en attendant que la Tremlays devienne place d’armes… nous en ferons, s’il vous plaît, une auberge où se reposera l’escorte de l’impôt.

— L’impôt, répondit le capitaine, reste sous la garantie et responsabilité de M. l’intendant royal tant qu’il n’a point franchi les frontières de la Bretagne. C’est donc à M. l’intendant de faire choix du lieu où l’escorte passera la nuit.

Une expression de singulière inquiétude se répandit sur le visage du maître de la Tremlays. Il fallait que cette inquiétude fût bien puissante pour que Vaunoy, habitué comme il l’était à dompter souverainement sa physionomie, n’en pût réprimer les traces. Didier et l’intendant la remarquèrent. Le premier n’y fit pas grande attention. Il croyait connaître Vaunoy, qu’il méprisait, sans le soupçonner de trahison. Sa hautaine insouciance ne daigna point se préoccuper de ce mince incident. — Quant à Béchameil, il interpréta à sa manière l’angoisse évidente du maître de la Tremlays. Il pensa que Vaunoy, voyant que le choix de la halte restait entre ses mains, à lui, Béchameil, redoutait sa décision pour l’office et les provisions du château.

— Monsieur mon ami, dit-il, en conséquence, je dois vous prévenir tout d’abord que les frais de convoi me regardent…

Vaunoy pâlit et fronça le sourcil.

— Je payerai tout, poursuivit l’intendant, l’hospitalité est pour moi un devoir. — Vous prétendez donc recevoir les gens du roi dans votre maison de la Cour-Rose ? demanda Vaunoy dont l’anxiété augmentait visiblement.

— Non pas, monsieur mon ami, non pas ! s’écria vivement Béchameil.

Vaunoy respira longuement. Ses couleurs vermeilles reparurent aux rondes pommettes de ses joues. Ce mouvement fut tellement irrésistible et marqué, que Didier ne put s’empêcher d’y prendre garde… Ce fut, au reste, l’affaire d’un instant, et, à mesure que le calme revenait sur le visage de Vaunoy, les doutes du jeune capitaine se dissipaient.

Mais, pour un spectateur attentif et désintéressé de cette scène, il eût été évident qu’un hardi dessein venait de surgir dans le cerveau de Vaunoy, dessein que favorisait l’option de M. Béchameil, désignant la Tremlays pour lieu de repos de l’escorte des deniers du roi.

Béchameil, qui était à cent lieues de penser que sa décision pût faire plaisir