Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la forme. Béchameil, en lisant le seing royal, crut devoir ôter son feutre et prier Dieu qu’il bénît Sa Majesté.

— Sur la proposition de S. A. S. Mgr le comte de Toulouse, gouverneur de Bretagne, dit le capitaine, le roi m’a conféré mission d’escorter les fonds provenant de l’impôt, à travers cette contrée, qui passe pour dangereuse…

— Et qui l’est ! interrompit Vaunoy.

— Qui l’est énormément, ajouta Béchameil.

— Le roi m’a chargé en outre, reprit Didier, de veiller à la perception des tailles, et Son Altesse Sérénissime m’a donné mission particulière de poursuivre et détruire, par tous moyens, cette poignée de rebelles qui portent le nom de Loups.

— Que Dieu vous aide ! dit Vaunoy. C’est là, mon jeune ami, une noble mission.

— Une mission que je ne vous envie en aucune façon, mon jeune maître ! pensa tout bas Béchameil… Dieu vous assiste ! prononça-t-il à haute voix.

— Je vous rends grâces, messieurs. Dieu protège la France, et son aide ne nous manquera point… Je pense que la vôtre ne me fera pas défaut davantage ?

À cette question, faite d’un ton de brusque franchise, Vaunoy répondit par une inclination de tête accompagnée d’un diplomatique sourire. Béchameil, malgré sa bonne envie, ne put imiter que l’inclination. Ce gastronome n’était point diplomate. Didier crut devoir insister.

— Je puis compter sur votre aide ? demanda-t-il une seconde fois.

— À plus d’un titre, mon jeune ami : pour vous-même et pour Sa Majesté.

— Je m’en réfère aux paroles de Vaunoy, dit Béchameil.

— Merci, messieurs. Je n’attendais pas moins de deux loyaux sujets du roi. Je fais grand fonds sur votre secours, et vous préviens à l’avance que je ne ménagerai pas votre bonne volonté… Veuillez me prêter attention.

Béchameil tira sa montre et constata avec douleur que l’heure normale du déjeuner était passée depuis dix minutes. Il poussa un profond soupir, n’osant pas manifester plus clairement son chagrin.

— Je ne suis point arrivé jusqu’ici, reprit Didier, sans avoir arrêté mon plan de campagne. Toutes mes mesures sont prises. La maréchaussée de Rennes est prévenue ; celle de Laval marche sur la Bretagne à l’heure où je vous parle. Les sergenteries de Vitré, de Fougères et de Louvigné-du-Désert me seconderont au besoin.

— À la bonne heure ! s’écria Béchameil. Tout cela formera une aimée respectable.

— Trois cents hommes environ, monsieur.

— Ce n’est pas assez, dit Vaunoy. Les Loups sont en nombre quadruple.

Béchameil modéra sa joie.

— J’avais cru qu’ils étaient plus nombreux que cela, repartit froidement le capitaine. Nous serons un contre quatre… C’est beaucoup ! — Je ne saisis pas bien, dit Béchameil. — C’est beaucoup, répéta Didier, parce que nous aurons de notre côté tous les avantages… Vous ne pensez pas, je suppose, que je veuille les attaquer à la Fosse-aux-Loups ?… Ne vous étonnez point,