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— Je ne suis pas gentilhomme, répondit le capitaine, je le sais… Peut-être n’était-il pas besoin de me rappeler la distance qui nous sépare… Vous avez oublié ; je tâcherai d’avoir le courage de vous imiter en cela… Mais ne plaidez plus la cause de Marie, Alix, car mon cœur est faible, et, en vous voyant si noble, si généreuse !…

— Puisque j’ai oublié, interrompit Alix qui reprit son sourire.

Le capitaine se mordit la lèvre. Son rôle devenait de plus en plus embarrassant. Il entrevoyait l’amour, l’amour puissant et vivace, à travers la froideur de mademoiselle de Vaunoy ; mais elle niait cet amour et semblait vouloir se retrancher derrière la différence de leurs positions sociales. Trop forte et trop fière pour permettre la pitié, elle prenait les devants, et c’était elle qui prononçait des mots de rupture. D’un autre côté, le souvenir évoqué de Marie plaidait éloquemment. Didier voyait son suave sourire derrière le sourire hautain d’Alix. Peut-être fût-il resté froid devant Alix éplorée, mais Alix lui demandait grâce pour Marie. L’àme humaine est faible contre les surprises.

— Non, dit-il après un silence, vous n’avez pas oublié, Alix, c’est impossible.

Ce mot était trop vrai pour ne point aller au cœur de mademoiselle de Vaunoy. Mais il y avait loin de son cœur à son visage, parce que son visage obéissait à sa vigoureuse volonté.

— Vous faut-il des preuves ? demanda-t-elle en refoulant par un puissant effort l’émotion qui amenait des larmes au seuil de sa paupière ; Didier, si je vous aimais encore, je ne serais pas auprès de vous… Puisqu’il faut vous le dire clairement, monsieur, j’ai les faiblesses et les préjugés de ma caste. Je suis Vaunoy de la Tremlays : il ne faut point que mon époux, si jamais je me marie, m’impose un nom qui ne vaille pas le nom de mon père.

— Dites-vous donc vrai ? s’écria Didier.

— Je dis vrai… mais laissons cela.

— Oh ! oui, laissons cela, mademoiselle. Plût à Dieu que nous n’eussions jamais abordé ce sujet. J’aurais gardé mon admiration entière, je vous croyais si supérieure aux autres femmes !

Alix ne put retenir un soupir, mais ce fut l’affaire d’une seconde, et elle reprit d’un ton enjoué :

— Causons comme de vieux amis qui se voient après une longue absence. Vous ne savez pas ? mon père veut me marier.

— Ah ! fit Didier avec soupçon.

Puis il ajouta en imposant à sa voix un ton de raillerie :

— C’est sans doute là le motif ?

— Non, l’homme qu’on veut me donner pour époux ne pourrait vous faire ombrage si vous étiez pour moi autre chose qu’un ami… Je ne serai jamais sa femme.

— N’a-t-il pas un nom qui soit au niveau du vôtre ? demanda Didier raillant toujours.

— C’est M. Béchameil, marquis de Nointel, intendant royal de l’impôt.

Didier éclata de rire ; comme s’il y avait eu de l’écho sous la charmille, un autre rire épais et bruyant retentit à une vingtaine de pas.