Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/511

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méchantes langues prétendaient qu’il avait commencé par financer de bonne grâce, ce qui était toujours un excellent moyen. Mais, dans la position de Vaunoy, cela ne suffisait pas. Substitué par une vente aux droits des Treml, dont il portait le nom et dont il avait pris jusqu’aux armes pour en écarteler son douteux écusson, il avait trop à craindre pour ne pas chercher tous les moyens de se concilier son juge. Un retrait de noblesse lui eût fait perdre à la fois ses titres, auxquels il tenait beaucoup, et ses biens, auxquels il tenait davantage, car c’était son état de gentilhomme et sa parenté qui lui avaient donné qualité pour acheter le domaine de Treml. Heureusement pour lui, Béchameil fit les trois quarts du chemin. Ce gros homme se jeta pour ainsi dire dans ses bras, en ne faisant point mystère de la passion qu’il avait conçue pour Alix.

C’était un coup de fortune, et Vaunoy en sut profiter. Béchameil et lui se lièrent, et bien que l’intendant royal fût de fait le plus fort, il se laissa vite dominer par l’adresse supérieure de son nouvel ami.

Il va sans dire que Béchameil reçut promesse de la main d’Alix, ce qui n’empêcha point Vaunoy de favoriser en quelque sorte l’intimité qui s’était établie à Rennes entre la jeune fille et Didier. Vaunoy avait sans doute ses raisons pour cela.

Durant le séjour de Didier à Rennes, Béchameil n’avait point été sans s’apercevoir de sa liaison avec Alix. Ceci nous explique la grimace du financier à la vue du jeune capitaine. Quant à mademoiselle Olive, elle agita son éventail parce qu’elle crut faire preuve d’une très-jolie pudeur.

Le repas est toujours l’acte le plus important de l’hospitalité bretonne. Au bout de quelques instants, maître Alain, le majordome, décoré de sa chaîne d’argent officielle, et les yeux rouges encore de son somme bachique, ouvrit les deux battants de la porte pour annoncer le souper.

— Demain nous parlerons d’affaires, dit gaîment M. de Vaunoy. Maintenant, soupons.

— Soupons ! répéta Béchameil, à qui ce mot rendit une partie de sa sérénité.

Alix se leva, et, d’instinct, tendit sa main à Didier. Ce fut M. Béchameil qui la prit. Le capitaine, à dessein ou faute de mieux, se contenta des doigts osseux de mademoiselle Olive.

Nous ne raconterons point le souper, pressé que nous sommes d’arriver à des événements de plus haute importance. Nous dirons seulement que M. de Vaunoy, tout en portant à diverses reprises la santé de son jeune compagnon, le capitaine Didier, échangea plus d’un regard équivoque avec maître Alain, auquel même, vers la fin du repas, il donna un ordre à voix basse. Maître Alain transmit cet ordre à un valet de mine peu avenante, que Vaunoy avait débauché l’année précédente à Mgr le gouverneur de la province, et qui avait nom Lapierre.

Pendant cela, Béchameil faisait sa cour accoutumée. Alix ne l’écoutait point, et tournait de temps en temps son regard triste et surpris vers le capitaine, qui causait fort assidûment avec mademoiselle Olive. Celle-ci minaudait, se pinçait les lèvres et n’omettait aucun détail du divertissant manège d’une coquette surannée savourant des soins de hasard.