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poste peu enviable, il venait presque tous les matins épier la sortie de l’enfant pour la battre ou lui arracher son déjeuner.

Il saisit l’instant où Johann et son frère avaient le dos tourné, pour traverser d’un seul bond le péristyle. Quand ils se retournèrent, il était tapi déjà derrière la porte de l’usurier.

De là, il entendait beaucoup mieux.

Lorsque les deux interlocuteurs passèrent devant la porte, c’était Johann qui parlait. Il répondait sans doute à une question du joueur d’orgue, touchant le but du voyage.

— Tu auras tout le temps de savoir cela en route, mon garçon, disait-il ; je vais te mettre avec un gaillard qui t’expliquera la chose… tout ça ne sera pas la mer à boire, crois-moi, et tu auras gagné facilement ton argent !

Ils étaient tous les deux, vis-à-vis l’un de l’autre, dans une situation analogue. Entre eux, il s’agissait d’un meurtre que Johann prenait fort au sérieux sans doute, mais pour lequel il ne comptait nullement sur le joueur d’orgue ; Jean était à ses yeux un comparse, chargé uniquement de compléter sa troupe, et qu’il embauchait pour avoir droit à la récompense promise.

Quand on a deux estafiers comme Mâlou et Blaireau, sans parler de l’honnête Fritz, un pauvre garçon de la trempe de Jean Regnault est assurément du luxe.

Mais le chevalier avait exigé quatre hommes, pour le moins, et il fallait lui en donner pour son argent.

C’était sous l’influence de la roide eau-de-vie des Quatre-Fils-Aymon que Johann avait entamé cette conquête à peu près inutile ; à jeun, peut-être eût-il agi différemment. Néanmoins, une fois l’affaire commencée, autant celui-là qu’un autre. Il savait l’allemand, et Johann ne songeait pas, sans un certain plaisir, que l’absence du joueur d’orgue laisserait le champ libre au neveu Nicolas, auprès de la gentille Gertraud.

Johann avait l’estime la plus profonde pour les économies du père Hans.

Quant à Jean, nous savons que sa détresse lui avait enseigné la ruse, et qu’il avait fait avec sa conscience une sorte de compromis. L’idée du meurtre était à cent lieues de sa cervelle.