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Mademoiselle Olive de Vaunoy, sa sœur, était une longue et sèche fille, qui avait été fort laide au temps de sa jeunesse. L’âge, incapable d’embellir, efface du moins les différences excessives qui séparent la beauté de la laideur. À cinquante ans, ce qui reste d’une femme laide est bien près de ressembler à ce qui reste d’une houri. L’expression du visage peut seule rétablir des catégories. Or, celui de mademoiselle Olive n’exprimait rien, si ce n’est une préciosité majuscule, d’obstinées prétentions à la gentillesse et une incomparable pruderie. Elle était vêtue d’ailleurs à la dernière mode, portant corsage long, en cœur, avec des hanches immodérément rembourrées, cheveux crêpés à outrance et poudrés, éventail que nous nommerions rococo, et mules de cuir mordoré sans talons. Sa joue était tigrée de mouches de formes très-variées, et un trait de vernis noir lui faisait des sourcils admirablement arqués. Nous passons sous silence le carmin étendu en couche épaisse sur ses lèvres, le vermillon délicatement passé sur ses pommettes et l’enfantin sourire qui ajoutait, à tant de séductions diverses, un charme précisément extraordinaire.

Alix ne ressemblait point à son père, et encore moins à sa tante. Elle était grande, et néanmoins sa taille, exquise dans ses proportions, gardait une grâce pleine de noblesse. Son front large avait, sous les noirs bandeaux de ses cheveux sans poudre, une expression de fière pudeur qu’adoucissait le suave rayon de son grand œil bleu. Son regard était sérieux et non point triste, de même que les pures lignes de sa bouche annonçaient une nature pensive plutôt que mélancolique. C’était le type parfait de la femme vigoureuse dans sa grâce, aussi éloignée de l’inertie comtemplative du nord que de la passion dévergondée du midi, alliant la sensibilité vraie à la fermeté digne et haute, pouvant aimer, sachant souffrir, capable de dévouement jusqu’à l’héroïsme.

Hervé de Vaunoy s’était marié un an après le départ de Nicolas Treml. Sa femme était morte au bout de dix-huit mois. Alix était le seul fruit de cette union. Elle avait dix-huit ans.

Il nous reste à parler de M. l’intendant royal de l’impôt.

Antinoüs Béchameil, marquis de Nointel, était un fort bel homme de quarante ans et quelque chose de plus. Il avait du ventre, mais pas trop, le teint fleuri et la joue rebondie. Son menton ne dépassait pas trois étages, et chacun s’accordait à trouver son gras de jambe irréprochable. Au moral, il prenait du tabac dans une boîte d’écaille si finement travaillée, que toutes les marquises y inséraient leurs jolis doigts avec délices. Son habit de cour avait des boutons de diamants dont chacun valait vingt mille livres. Il avait des façons de secouer la dentelle de son jabot et de relever la pointe de sa rapière jusqu’à la hauteur de l’épaule, qui n’appartenaient qu’à lui, et sa mémoire, suffisamment cultivée, lui permettait de placer çà et là des bons mots d’occasion qui n’avaient guère cours que depuis six semaines. Il avait en outre un appétit incomparable, auquel il sacrifiait un bon tiers de son revenu, et un estomac à l’épreuve.

En somme, il n’était pas beaucoup plus grotesque que la plupart des nobles financiers de son temps.

M. le marquis de Nointel avait en Bretagne de nombreuses et importantes occupations. D’abord il aimait éperdûment Alix de Vaunoy, dont il voulait faire