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autant qu’aux héritiers des plus puissantes familles. Si ce n’eût point été là une circonstance positivement insignifiante pour le public, on aurait pu remarquer que ce changement étrange avait coïncidé avec l’acquisition que fit Vaunoy d’un certain Lapierre, valet de Mgr le gouverneur. Mais il n’était point probable, en vérité, que cette révolution d’antichambre eût pu influer en rien sur la conduite ultérieure de M. dé la Tremlays.

Quoi qu’il en soit, un soir que Didier sortait de l’hôtel de Vaunoy, le cœur tout plein d’amoureuses pensées, il fut attaqué dans la rue par trois estafiers qui le poussèrent rudement. Il n’avait que son épée de bal, mais il s’en servit comme il faut, et les trois estafiers en furent pour leurs peines et les horions qu’ils reçurent. Didier, blessé, rentra au palais ; l’affaire n’eut point de suite, parce que le comte de Toulouse quitta Rennes quelques jours après.

Le second souvenir du capitaine Didier, quoique beaucoup plus humble, restait plus avant peut-être dans son cœur. C’était une blonde fille de la forêt, qu’il avait revue bien souvent en rêve : une tête d’ange sur un corps de sylphide.

En ce moment encore, couché sur l’herbe humide et bercé par ses méditations, il songeait à elle. Le nom de Marie chassait de sa lèvre le nom d’Alix, et c’était la gracieuse image de Fleur-des-Genêts qui souriait au fond de sa pensée.

Il rêvait donc, et d’amour, comme doit rêver tout beau capitaine. Les Loups, l’impôt, la bataille prochaine, rien de tout cela pour lui n’existait en ce moment.

— Si elle venait ! murmura-t-il en jetant son avide regard dans les sombres profondeurs des taillis.

Ce qui pouvait lui venir le plus probablement, c’était la balle de quelque Loup, car il avait jeté sous lui son manteau, et les broderies de son uniforme brillaient maintenant sans voile. Mais il y a un dieu pour les amoureux. Une voix douce et lointaine encore sembla répondre à son aspiration. Il tendit l’oreille. La voix approchait. Elle chantait la complainte d’Arthur de Bretagne.

Didier savourait délicieusement cette voix et cette mélodie connues. Mais par une sorte de sentimental raffinement, il attendait. Les gourmets ne se hâtent point de porter à leur bouche un friand morceau, et l’attente a aussi ses joies.

À mesure que la voix approchait, les paroles devenaient plus distinctes. Fleur-des-Genêts chantait ce passage de la complainte populaire où Constance de Bretagne commence à désespérer de revoir son malheureux fils. Nous traduisons le patois des paysans d’Ille-et-Vilaine.

Marie disait :

Elle attendait, car pauvre mère
Longtemps espère,
Elle attendait, le cœur marri.
Son fils chéri.
Elle mettait son âme entière
Dans la prière,
Elle disait : Dieu tout-puissant,
Mon doux enfant !

Marie n’était plus qu’à quelques pas de Didier, mais ils ne se voyaient point