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que. Le cabaretier venait de faire le tour de la place ; il avait passé la revue de ses hommes : tous étaient prêts. Fritz avait bu sa chopine d’eau-de-vie, et les deux amis inséparables, Mâlou et Pitois, venaient de vendre leur dernier pantalon volé.

— Voilà ce que j’appelle être exact ! dit Johann ; sais-tu, petit Jean, que tu as une bonne poigne et que je garderai longtemps la marque de tes caresses ! mais ne parlons pas de ça, l’heure nous presse et ta place est retenue à la diligence de tantôt.

— J’ai promis de partir, répondit Jean, je partirai.

L’idiot arrivait en ce moment, suivant la trace de son frère, comme un limier tient une piste. Il essaya de se mettre aux écoutes derrière un des piliers du péristyle, mais Johann et le joueur d’orgue parlaient bas et se promenaient, faisant trois ou quatre pas en avant, trois ou quatre en arrière. L’idiot, qui tendait l’oreille de son mieux, ne saisissait pas un mot de leur entretien.

Tout autre que lui eût déserté la tâche, dans l’impossibilité de s’approcher davantage : mais le hasard avait singulièrement servi Gertraud dans le choix de son messager. Geignolet, comme presque tous les malheureux privés de raison, avait dans sa nature une part de cette adresse instinctive qui fait, en certains cas, la supériorité du sauvage sur l’homme de la civilisation. Il passait sa vie à guetter comme une bête fauve à l’affût, à se cacher pour dérober une proie convoitée, à se glisser dans les trous comme un serpent.

Et comme personne ne daignait faire attention à ses manœuvres folles, il était réellement la perle des espions.

Durant deux ou trois minutes il suivit Johann et son frère de pilier en pilier, avec une patience rusée qui lui était propre ; puis, voyant l’inutilité de ses efforts, il parcourut le lieu de la scène d’un regard rapide pour chercher un abri plus proche. Dans ses yeux mornes d’ordinaire brillait, par éclairs intermittents et soudains, une intelligence farouche.

Il n’y avait point de cachette sous le péristyle, mais l’œil de l’idiot s’arrêta sur la porte ouverte du bureau d’Araby.

C’était pour lui un lieu connu. Pendant plusieurs mois, il avait été le galifard d’Araby, et, depuis que la petite Nono l’avait remplacé dans ce