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XI
FLEUR-DES-GENÊTS.


Pelo Rouan, avant de poser son pichet sur la table, ajouta comme complément de son toast :

— Et à la confusion du Loup Blanc et de ses louveteaux ! — À la bonne heure ! dit la vieille Goton, lorsque chacun eut applaudi à ce souhait charitable ; Pelo Rouan est un pauvre homme de la forêt. Il y a pour lui courage à maudire tout haut le Loup Blanc, qui est fort puissant, et dont mille bras exécutent les ordres ! car tout à l’heure il va prendre son bâton de houx et affronter la nuit le domaine des Loups ! à la bonne heure ! Je ne veux point de mal à Pelo Rouan. — Merci, dame, prononça lentement le charbonnier ; moi, je vous veux du bien.

C’était un homme étrange que ce Pelo Rouan. Pendant qu’il parlait ainsi, son regard fixe couvrait Goton, tandis que la ligne rouge de ses paupières clignotait à la lumière du feu. Il y avait dans ce regard une gratitude plus grande que ne le méritait à coup sur l’observation de la vieille femme de charge. Du reste, et nous devons le dire tout d’abord, la plupart des actions de cet homme étaient difficiles à expliquer. On croyait deviner chez lui parfois une marche lente et systématique vers un but mystérieux ; mais on ne tardait pas à perdre sa trace, et l’espionnage le plus fin comme le plus obstiné eût été dérouté par sa conduite. Nul ne songeait d’ailleurs à l’espionner. À quoi bon l’eût-on fait ? Ses fréquentes visites à la maison de M. de Vaunoy, ennemi personnel et acharné des Loups, éloignaient toute idée de connivence avec ces derniers, et cette connivence seule aurait pu donner quelque force à un homme si bas placé dans l’échelle sociale.

Il y a quinze ou seize ans que Pelo (Pierre) Rouan était venu s’établir dans la forêt de Rennes. Il avait amené avec lui une petite fille au berceau. Solitaire d’habitude et paraissant fuir la société de ses pareils, il s’était bâti une étroite loge à l’endroit le plus désert de la forêt, avait creusé un four souterrain et faisait, depuis lors, ce qu’il fallait de charbon pour soutenir son existence et celle de sa fille.

Marie avait pris la taille d’une femme. En grandissant, elle était devenue bien belle, mais elle l’ignorait. Beaucoup prétendront que ces derniers mots renferment une impossibilité flagrante ; nous soutenons néanmoins notre dire. Marie, enfant de la solitude, n’avait de hardiesse que contre le danger. La vue de l’homme la troublait et l’effrayait. Lorsque la trompe de chasse criait dans les