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Il est vrai que, à bien prendre, cette opulence n’avait rien de réel. Entre les mains d’Hervé, le château avec ses dépendances n’était qu’un dépôt, et son rôle celui d’un fidéicommissaire. Mais, pour qui sait conduire sa barque, ce rôle de fidéicommissaire peut mener loin. Tout homme est mortel ; le pupille est soumis à cette foule de hasards déplorables qui menacent notre pauvre humanité : on meurt de la fièvre, du croup ; on meurt pour ne point manger assez ou pour manger trop ; on est croqué par le loup, même ailleurs que dans les contes de Perrault ; on se noie : que sais-je ? Plus tard, il y a les duels, les chutes de cheval et l’amour, qui perdit Troie. À cause de tout cela, le pupille d’un fidéicommissaire bien appris atteint rarement sa majorité lorsque l’héritage mérite considération.

Or, M. de Vaunoy était un homme fort capable. Seulement, comme il était impatient outre mesure de jouir sans contrôle, il ne fit point grand fond sur ces éventualités que nous venons d’énumérer. Le petit Georges, à la rigueur, pouvait sortir victorieux de toutes ces épreuves, et M. de Vaunoy entendait ne point courir les chances de ce jeu périlleux. Le Breton est bon et généreux d’ordinaire, mais quand il se met à être mauvais, les traîtres du boulevard sont des anges auprès de lui : rien ne lui coûte, et les moyens qu’il emploie alors sont d’une brutalité diabolique. Le lecteur en pourra juger sous peu.

Vaunoy continua de traiter Georges comme le fils chéri et respecté de son seigneur. Il voulait se faire un appui de l’affection de l’enfant pour le cas redoutable où M. de la Tremlays fût revenu inopinément quelque jour. Un mois, deux mois se passèrent. Hervé avait fait maison nette de tout ce qui portait amour au vieux sang de Treml. Néanmoins, il y avait un fidèle serviteur qu’il n’avait point pu chasser : c’était Job, le chien favori de Nicolas Treml.

En vain les valets armés de fouets avaient poursuivi Job jusqu’à une grande distance dans la forêt ; il revenait toujours. Au moment où Hervé le croyait bien loin, il le retrouvait, le soir, assis auprès du berceau de Georges endormi, le chien veillait, et nous ne pouvons point affirmer que, sans la présence de ce vaillant gardien, l’héritier de Treml eût passé ses nuits sans péril, car M. de Vaunoy jetait souvent d’étranges regards sur la couche où reposait son jeune cousin.

Job n’était pas seul à veiller sur le petit Georges : un autre protecteur couvrait l’enfant de sa mystérieuse vigilance. Avec l’or de Nicolas Treml, Jean Blanc avait soulagé les souffrances de son père. Il ne travaillait plus : le jour, il dormait ou rôdait autour du château ; la nuit, il montait dans l’un des arbres du parc, dont les longues branches venaient frôler les fenêtres de la chambre où dormait Georges, et là, il faisait sentinelle jusqu’au matin. Hervé l’avait bien menacé parfois du fusil de son veneur, mais Jean Blanc savait courir sur la verte couronne des arbres comme un matelot dans les agrès de son navire. Il ne craignait point les balles, et d’ailleurs il avait dit : Je tâcherai !

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