Un silence de quelques minutes suivit.
Au bout de ce temps, le joueur d’orgue s’agita sur sa chaise et tourna son chapeau entre ses doigts avec embarras.
— Et maintenant, dit-il, mamzelle Gertraud, je vais vous faire mes adieux.
— Vous partez ? demanda la jeune fille que les pleurs étouffaient.
— Je pars, répondit Jean, pour longtemps peut-être… je pense bien que nous ne nous reverrons jamais.
Sa voix trembla et l’émotion triompha enfin de sa froideur empruntée.
— Je le pense ! reprit-il ; hier encore j’aurais été bien malheureux de cette séparation… mais aujourd’hui… Oh ! Gertraud ! Gertraud ! que Dieu vous pardonne ! Un autre ne vous aimera point comme je vous aimais !
— Mais pourquoi me parlez-vous ainsi ? s’écria la jeune fille navrée, que vous ai-je fait ? que vous ai-je fait ?
Les sourcils de Jean se froncèrent ; puis ses yeux, arrêtés un instant sur Gertraud, eurent une expression attendrie.
Il fut sur le point de s’expliquer ; mais la rancune l’emporta.
Il se leva.
— Vous ne m’avez rien fait, mamzelle Gertraud, dit-il, de quoi me plaindrais-je ?… vous étiez libre !
La pauvre enfant n’avait garde de comprendre.
Jean se dirigea vers la porte.
— Mais où allez-vous ? au nom de Dieu ! dit-elle, par pitié ! dites-moi quelque chose et ne me quittez pas ainsi !
Jean s’arrêta, irrésolu, sur le seuil même.
— Écoutez, reprit-il à voix basse, je vous ai trop aimée pour vous oublier un jour… bien des fois je penserai à vous, et ce sera ma peine la plus cruelle ! Adieu, Gertraud, je vais au loin… Il y a désormais autour de mon sort un mystère que ma famille elle-même ne saurait point percer… mais, quoi qu’il arrive, ne croyez pas que je puisse devenir criminel !
Ce mot, qui répondait à la préoccupation secrète de Jean, frappa Gertraud d’étonnement et de frayeur.
— Criminel !… répéta-t-elle. Comment pourrais-je vous croire criminel ?…