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V

LE CREUX D’UN CHÊNE.

Au centre de la Fosse-aux-Loups s’élevait un tronc de chêne de dimensions colossales. Il étageait ses hautes et noueuses racines sur le plan incliné de la rampe ; ses branches, grosses comme des arbres ordinaires, radiaient en tous sens et formaient en quelque sorte la clef de la voûte de verdure qui recouvrait cette partie du ravin.

Il courait dans le pays, sur cet arbre géant et sur les deux tours qui couronnaient la rampe méridionale du ravin, divers bruits traditionnels. On disait, entre autres choses, que l’arbre s’élevait directement au-dessus d’un vaste souterrain dont l’entrée devait se trouver dans les fondations de l’une des deux tours, ou bien encore sur le versant opposé de la montée, au milieu des tranchées et pans de murailles dont nous avons parlé. Personne, et c’est bien là le caractère propre de l’apathie bretonne, n’avait jamais songé à vérifier cet on-dit ; à cause de cela, tout le monde était persuadé de son exactitude. Les opinions étaient seulement partagées sur l’origine de ces souterrains, que, de mémoire d’homme, nul n’avait explorés. Les uns prétendaient que c’étaient tout simplement d’anciens puits d’où l’on retirait autrefois du minerai de fer ; les autres, repoussant cette bourgeoise hypothèse, affirmaient que ces caves sans limites couraient en tous sens sous la forêt et rejoignaient celles du manoir de Boüexis, où la tradition plaçait un des centres de résistance au contrat d’Union, du temps de la bonne duchesse Anne, cette princesse si populaire, dont les actes sont maudits et dont la mémoire est adorée. Dans cette seconde hypothèse, le souterrain aurait été un refuge ou un lieu d’assemblée pour les premiers conjurés qui, dans la Haute-Bretagne, portèrent le nom de Frères-Bretons. Quoi qu’il en soit, quiconque eût douté de l’existence de ces caves aurait était regardé comme un ignorant et un insensé.

Aucune trace n’accusait néanmoins leur voisinage, et il fallait qu’elles fussent situées à une grande profondeur, car le chêne atteignait presque le fond du ravin, et ses racines devaient percer au loin le sol. Sa circonférence était énorme, et bien que nul signe de décrépitude ne se montrât dans son vivace feuillage, le tronc, complètement dépourvu de moelle, ne se soutenait plus que par la couche ligneuse extérieure et l’écorce. Deux larges trous donnaient passage à l’intérieur, qui formait une véritable salle où dix hommes auraient pu s’asseoir à l’aise.

Ce fut au pied de ce chêne que M. de la Tremlays rejoignit son écuyer.