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— Je vais travailler, père, s’écria-t-il en s’élançant vers sa cognée ; j’ai dormi trop longtemps. J’apporterai du remède.

Le vieux Mathieu se retourna péniblement sur sa couche ; mais au moment où Jean allait franchir le seuil, il le rappela.

— Reste, dit-il ; je souffre trop quand je suis seul.

Jean déposa aussitôt sa cognée et revint vers le lit.

— Je resterai, père, répondit-il. Quand vous aurez sommeil, je courrai jusqu’au château, et je demanderai ce qu’il faut à Nicolas Treml, qui ne refuse jamais.

— Jamais ! prononça lentement Mathieu. Celui-là est un gentilhomme : il n’oublie point son serviteur qui n’a plus de bras pour travailler ou se battre… Il ne méprise point l’enfant parce qu’il a les cheveux d’une autre couleur que ceux des hommes. Que Dieu le bénisse !

— Que Dieu le sauve ! dit l’albinos.

Mathieu se souleva sur son séant et regarda son fils en face.

— Jean, reprit-il vivement, ma mémoire est faible, parce que je suis bien vieux. Mais pourtant je crois me souvenir… Ne m’as-tu pas dit que le fils de Nicolas Treml est en grave péril ?

— Voici deux ans qu’il est trépassé, mon père.

— C’est vrai. Ma mémoire est faible… Le fils de son fils alors ? le dernier rejeton de Treml ?…

— Je vous l’ai dit, mon père.

— Quel danger, enfant, quel danger ? s’écria le vieillard avec une fiévreuse exaltation. Ne puis-je point le secourir ?

Jean laissa tomber un triste regard sur le corps épuisé de son père.

— Priez, dit-il, moi j’agirai… Hier, du haut d’un arbre dont j’ébranchais la couronne, j’ai aperçu au loin Nicolas Treml qui revenait de Rennes, où sont assemblés les États…

— C’est une noble et vaillante assemblée, Jean !

— Elle était ainsi autrefois, mon père. Je descendis sur la route afin de saluer notre monsieur, suivant ma coutume ; mais sa préoccupation était si grande, qu’il passa près de moi sans me voir. Je le suivis. Il causait avec lui-même et j’entendais ses paroles.

— Que disait-il ?

Les traits de l’albinos se contractèrent tout à coup, et une irrésistible convulsion fit jouer tous les muscles de sa face. Il éclata de rire.

— Que disait-il ? répéta le vieillard.

Jean, au lieu de répondre, se prit à gambader par la chambre, en chantant un monotone refrain du pays. Son père lit un geste de muette douleur et se retourna vers la muraille, connue s’il eût été habitué à ces tristes scènes de folie.

Il en était ainsi ; Jean, sans être idiot, comme le croyaient les bonnes gens de la forêt, avait de fréquents dérangements d’esprit, qui lui laissaient une lassitude morale et une mélancolie habituelle. Sa laideur physique et l’incertaine faiblesse de ses facultés faisaient de lui un être à part ; il le savait, et, se