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— Il est temps ! murmura-t-il d’une voix étouffée. Vous m’avez rappelé mon devoir. Je vais partir.

— Déjà ?…

— On m’attend, et je suis en retard. Allez, Vaunoy, faites seller mon cheval. Je vais dire adieu à la maison de mon père et embrasser pour la dernière fois l’enfant de mon fils.

Vaunoy baissa la tête avec toutes les marques extérieures d’une sincère affliction et gagna les écuries.

Nicolas Treml ceignit la grande épée de ses aïeux, vaillant acier, damassé par la rouille, et qui avait fendu plus d’un crâne anglais au temps des guerres nationales. Il couvrit ses épaules d’un manteau et posa son feutre sur les mèches éparses de ses cheveux blancs.

Entre sa chambre et la retraite où reposait Georges, son petit-fils, se trouvait le grand salon d’apparat. C’était une vaste salle aux lambris de chêne noir sculptés, dont les panneaux étaient séparés par des colonnettes en demi-relief à corniches dorées. Entre chaque panneau pendait un portrait de famille au-dessus duquel était peint un écusson à quartiers. Nicolas Treml traversa cette salle d’un pas lent et pénible. Son visage portait l’empreinte d’une austère et profonde douleur. Il s’arrêta devant les derniers portraits, qui étaient ceux de son père et de sa mère défunts, et se mit à genoux.

— Adieu, madame, murmura-t-il ; adieu, mon père ! Je vais mourir comme vous avez vécu : pour la Bretagne !

Comme il se relevait, un oblique rayon de soleil levant, perçant les vitraux de la salle, fit scintiller les dorures et mit un reflet de vie sur tous ces roides visages de suzerains et de chevaliers. On eût dit que les nobles dames souriaient et respiraient le séculaire parfum de leur inévitable bouquet de roses ; on eût dit que les fiers seigneurs mettaient, plus superbes, leurs poings gantés de buffle sur leurs hanches bardées de fer, en écoutant la voix de ce dernier Breton qui parlait de mourir pour la Bretagne.

Avant de quitter la salle, Nicolas Treml se découvrit et salua les vingt générations d’aïeux qui applaudissaient à son sacrifice.

Le petit Georges dormait encore, mais ce sommeil matinal était léger. Le contact de la bouche de son aïeul suffit pour clore son rêve. Il s’éveilla dans un charmant sourire et jeta ses bras roses autour du cou du vieillard.

M. de la Tremlays avait dit adieu sans faiblir aux images vénérées de ses ancêtres, mais il resta sans force à la vue de cet enfant, seul espoir de sa race, qui allait être orphelin et qui souriait doucement comme à l’aurore d’un jour de bonheur.

— Que Dieu te protège, mon fils, murmura-t-il, tandis qu’une larme péniblement contenue mouillait le bord de sa paupière blanchie ; qu’il fasse de toi un gentilhomme et un Breton… Puisses-tu ressembler à tes pères, qui étaient vaillants — et libres !

Il déposa un dernier baiser sur le front de l’enfant et s’enfuit parce que l’émotion brisait son courage.

Dans la cour, Hervé de Vaunoy tenait le cheval sellé par la bride.