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jour pour voir crouler une dynastie. Nicolas Treml n’était pas roi, mais il se regardait comme le dernier représentant d’une pensée vaincue qui pouvait à son tour remporter la victoire. Jacques était son bras droit, son successeur, son alter ego ; Georges n’était qu’un enfant. Au lieu, d’une arme à l’épreuve, Nicolas Treml n’avait plus qu’un faible roseau dans la main.

Il y avait, de par la province de Bretagne, une famille pauvre et de noblesse douteuse, qui se prétendait branche de Treml et ajoutait ce nom au sien propre. Avant la mort de Jacques, M. de la Tremlays avait intenté à cette famille de Vaunoy un procès, pour la contraindre à se désister de toute prétention au nom de Treml. Le procès était pendant, et, suivant toute apparence, le parlement de Rennes allait condamner les Vaunoy, lorsque Jacques mourut. Ce fatal événement sembla changer subitement les desseins de M. de la Tremlays. Il arrêta l’action pendante au parlement de Rennes, et invita Hervé de Vaunoy, l’ainé de la famille, à se rendre aussitôt près de lui. Celui-ci n’eut garde de refuser l’invitation.

Il traversa la forêt monté sur un piètre cheval de labour. Arrivé sur la lisière qui touchait le domaine de Treml et les futaies de Bouëxis, il ôta respectueusement son feutre et salua toutes ces richesses, tandis qu’un triomphant sourire relevait les coins de ses minces lèvres sous les crocs fauves de sa moustache.

Hervé de Vaunoy pouvait avoir alors quarante ans. C’était un petit homme replet, à chevelure roussâtre, dont les exubérants anneaux encadraient un visage souriant et d’expression débonnaire. Ses yeux gris disparaissaient presque sous les longs poils de ses sourcils ; mais ce qu’on en voyait était fort avenant et cadrait au mieux avec la fraîcheur vermeille de ses joues. En somme, il avait l’air du meilleur vivant qui fût au monde, et il était impossible de le voir une seule fois sans se dire : Voilà un excellent petit homme ! La seconde fois on ne disait rien du tout. La troisième, on pensait à part soi que le petit homme pouvait bien n’être point si bon qu’il voulait le paraître.

Chemin faisant, il inspecta le manoir de Bouëxis, qu’il trouva très à son gré, les fermes, métairies et tenues, qui lui parurent bien en point, et les bois dont il admira cordialement la belle venue. Pendant cela son sourire vainqueur ne le quittait point. On eût dit que le petit homme se voyait déjà dans l’avenir propriétaire et seigneur de toutes ces belles choses. Mais ce qui le flatta le plus, ce fut le château de la Tremlays lui-même. À la vue de ce fier édifice qui ouvrait, sur une immense avenue, sa grande porte écussonnée, Hervé de Vaunoy arrêta son cheval de charrette et ne put retenir un cri d’allégresse.

— Saint-Dieu, murmura-t-il tout ému, notre maison de Vaunoy tiendrait avec ses étables, écuries et pigeonniers sous le portail de ce noble château… Il faudrait que M. Nicolas Treml, mon cousin, eût l’âme bien dure pour ne point me donner un gîte en quelque coin, — et quand on a pied dans quelque coin et bonne volonté, le diable fait le reste.

Il souleva le lourd marteau de la porte, et mit de côté son sourire pour prendre un air humble et décemment réservé.

M. de la Tremlays était assis sous le manteau de la haute cheminée de sa salle à manger. À son côté, un grand et beau chien de race sommeillait indo-