Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/450

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Point de guerre ! disait-il alors. Un duel ! — Un seul coup, — une seule mort !

Et M. de la Tremlays, enfonçant ses éperons dans les flancs de son cheval, combinait un de ces plans dont l’extravagante hardiesse amène le sourire sur les lèvres des hommes de bon sens, et que le succès peut à peine sanctionner ; — un plan audacieux, chevaleresque, mais impossible et fou, dont l’idée ne pouvait germer que dans un cerveau de gentilhomme campagnard, ignorant le monde et toisant la prose du présent avec la poétique mesure du passé.

Il ne faudrait point pourtant se méprendre et taxer Nicolas Treml de démence, parce que son entreprise dépassait les bornes du possible. Il le savait, et son enthousiasme ne lui cachait point la profondeur de l’abîme. Mais c’était un de ces hommes à cervelle de bronze, qui voient le précipice ouvert, et ne s’arrêtent point pour si peu en chemin.

Une seule circonstance eût pu le faire hésiter. La maison de la Tremlays n’avait qu’un héritier direct, Georges Treml, petit-fils du vieux gentilhomme. Que deviendrait cet enfant de cinq ans, frappé dans la personne de son aïeul, et dépourvu de protecteur naturel ? Nicolas Treml supportait impatiemment cette objection que lui faisait sa conscience.

— Si je réussis, pensait-il, Georges aura un héritage de gloire ; si j’échoue, monsieur mon cousin de Vaunoy lui gardera son patrimoine… Vaunoy est un loyal gentilhomme.

Comme il prononçait mentalement ces paroles, une voix grêle et lointaine lui apporta le refrain d’une chanson du pays, sorte de complainte, dont l’air lent, monotone, mélancolique, accompagnait le lugubre récit du trépas d’Arthur de Bretagne, méchamment mis à mort par son oncle Jean Sans-Terre. M. de la Tremlays tressaillit et se sentit venir au cœur un pressentiment funeste.

— Impossible ! murmura-t-il, Vaunoy est un digne parent. ..

La voix se rapprochait, le chant semblait prendre une nuance d’ironie.

— D’ailleurs, poursuivit le vieux gentilhomme, Georges est Breton ; son bonheur comme son sang, appartient à la Bretagne.

La voix se tut, durant quelques secondes, puis elle éclata tout à coup juste au-dessus de M. de la Tremlays. Celui-ci leva brusquement la tête et aperçut, au haut d’un gigantesque châtaignier dont la couronne, dominant les arbres d’alentour, était vivement éclairée par les rayons obliques du soleil couchant, un être d’apparence extraordinaire et presque diabolique. Son corps, ainsi éclairé, rayonnait d’une sorte de lueur blafarde. Si un voyageur l’eût rencontré dans les forêts du Nouveau-Monde, il ne lui aurait certainement pas accordé nom d’homme, l’histoire naturelle de M. de Buffon contiendrait un article de plus : le babouin blanc. Cette créature ressemblait en effet à un énorme singe de couleur blanchâtre ; elle sautait d’une branche à l’autre avec une agilité merveilleuse, et, à chaque saut, un faisceau de menus rameaux tombait à terre. — Son chant continuait.

Il est à croire que ce n’était pas la première fois que M. de la Tremlays ren-