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l’ancienne mode. L’âge n’avait point modéré l’ardente fougue de son regard. À le voir droit et ferme sur la selle, lorsqu’il chevauchait sous la futaie, les gens de la forêt se sentaient le cœur gaillard et disaient :

— Tant que vivra notre monsieur, il y aura un Breton dans le pays, et gare aux sangsues de France !

Ils disaient vrai : le patriotisme de Nicolas Treml était aussi indomptable qu’exclusif. La décadence graduelle du parti de l’indépendance, loin de lui être un enseignement, n’avait fait qu’agrandir son obstination. D’année en année, ses collègues des États écoutaient avec moins de frayeur ses rudes protestations ; mais il protestait toujours, et c’était la main sur la garde de son épée qu’il fulminait ses menaçantes diatribes contre le représentant de la couronne.

Un jour qu’il parlait, messieurs de la noblesse se prirent à rire, et plusieurs voix murmurèrent :

— Décidément, M. de la Tremlays a perdu la tête !

Il s’arrêta tout à coup : une mate pâleur monta jusqu’à son front ; son œil lança un fulgurant éclair. Il se couvrit et gagna lentement la porte de la salle. Sur le seuil, il croisa ses bras et envoya au ban de la noblesse un long regard de défi.

— Je remercie Dieu, dit-il d’une voix lente et durement accentuée qui pénétra jusqu’aux extrémités de la salle, je remercie Dieu de n’avoir perdu que la tête, lorsque messieurs mes pairs, eux, ont perdu le cœur !

À ce sanglant outrage, vous eussiez vu bondir sur leurs sièges tous ces fiers gentilshommes. Vingt rapières furent à l’instant dégainées. Nicolas Treml ne bougea pas.

— Laissez là vos épées, reprit-il. Moi aussi je fus insulté, pourtant je me retire. Ce n’est point du sang breton qu’il faut à ma colère. Adieu, messieurs. Je prie Dieu que vos enfants oublient leurs pères et se souviennent de leurs aïeux… Je me sépare de vous et je vous renie. Vous avez mis la Bretagne au tombeau ; moi je mettrai du sang sur le tombeau de la Bretagne… Quand il n’est plus temps de combattre, il est temps encore parfois de se venger !

M. de la Tremlays monta sur son bon cheval, et prit la route de son domaine.

Ceux qui le rencontrèrent ne purent deviner les vindicatives pensées qui se pressaient en foule dans son esprit. Robuste de cœur autant que de corps, il savait garder au dedans de soi sa colère. Son front restait calme, son regard errait, vague et indifférent, sur le plat paysage des environs de Rennes.

Lorsqu’il entra sous le couvert de la forêt, le soleil baissait à l’horizon. M. de la Tremlays contempla plus d’une fois avec convoitise les retranchements naturels et imprenables qu’offrait à chaque pas le sol vierge ; il comptait involontairement ces hommes vigoureux, et vaillants qui le saluaient de loin avec une respectueuse affection.

— La guerre, pensait-il, pourrait être terrible avec ces soldats et ces retraites.

Il arrêtait son cheval et devenait rêveur. Mais bientôt une idée obsédante fronçait ses sourcils grisonnants. Il se redressait et son œil brillait d’un vague et sauvage éclat.