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temps à autre, quelque chétif lapereau ou un chevreuil étique que le spleen porte à braver cet indigne trépas. On n’entend plus, sous le couvert, les éclatantes fanfares ; le sabot des nobles chevaux ne frappe plus le gazon des longues allées : tout se tait, hormis les marteaux et la toux cyclopéenne de la pompe à feu. Certains se frottent les mains à l’aspect de ce résultat. Ils disent que les châteaux ne servaient à rien et que les usines font des clous. Nous avons, sur ce sujet, une opinion très-positivement arrêtée, mais nous la réserverons pour une occasion meilleure.

Quoi qu’il en soit, au lieu de quelques kilomètres carrés grevés de coupes accablantes, et dont les trois quarts sont à l’état de taillis, la forêt de Rennes avait, il y a cinquante ans, huit bonnes lieues de tour, et des tenues de futaie si haut lancées, si vastes et si bien fourrées de plant à la racine, que les gardes eux-mêmes y perdaient leur chemin. En fait d’usines, on n’y trouvait que des saboteries, et aussi, dans les châtaigneraies, quelques huttes où l’on faisait des cercles pour les tonneaux. Au centre des clairières, dix à douze loges groupées et comme entassées servaient de demeures aux charbonniers. Il y en avait un nombre fort considérable, et, en somme, la population de la forêt passait pour n’être point au-dessous de quatre à cinq mille habitants.

C’était une caste à part, un peuple à demi sauvage, ennemi né de toute innovation, et détestant par instinct et par intérêt tout régime autre que l’antique coutume, laquelle lui accordait tacitement un droit d’usage illimité sur tous les produits de la forêt, sauf le gibier. De temps immémorial, sabotiers, tonneliers, charbonniers et vanniers avaient pu, non-seulement ignorer jusqu’au nom d’impôt, mais encore prendre bois nécessaire à leur industrie sans indemnité aucune. Dans leur croyance, la forêt était leur légitime patrimoine : ils y étaient nés ; ils avaient le droit imprescriptible d’y vivre et d’y mourir. Quiconque leur contestait ce droit devenait pour eux un inique oppresseur. Or, ils n’étaient point gens à se laisser opprimer sans résistance.

Louis XIV était mort. Philippe d’Orléans, au mépris du testament du monarque défunt, tenait la régence. Bien que ce prince, pour qui l’histoire a eu de sévères et justes jugements, mît volontairement en oubli la grande politique de son maître, cette politique subsistait par sa force propre, partout où des mains malhabiles ou perfides ne prenaient point à tâche de la miner sourdement. En Bretagne, la longue et vaillante résistance des États avait pris fin. Un intendant de l’impôt avait été installé à Rennes, et le pacte d’union, violemment amendé, ne gardait plus ses fières stipulations en faveur des libertés de la province. Le parti breton était donc vaincu ; la Bretagne se faisait France en définitive : il n’y avait plus de frontière.

Mais autre chose était de consentir une mesure en assemblée parlementaire, autre chose de faire passer cette mesure dans les mœurs d’un peuple dont l’entêtement est devenu proverbial. M. de Pontchartrain, le nouvel intendant royal de l’impôt, avait l’investiture légale de ses fonctions ; il lui restait à exécuter son mandat, ce qui n’était point chose facile. Partout on accusa les États de forfaiture ; on résista partout. L’association des frères-bretons, organisée pour la défense des libertés de la province, et qui, en réalité, n’avait