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incendie put être un accident naturel. L’imagination des bonnes gens voguait en pleine fantaisie. Minuit venait de sonner au beffroi du château : c’était l’heure des choses de l’autre monde. Les anciens tenanciers de Bluthaupt éprouvèrent d’abord une sorte de consternation à voir la fumée épaisse qui entoura bientôt le vieux donjon. À cette tour s’attachait pour eux un mystérieux respect, c’était comme la partie sacrée de l’antique manoir. Mais une voix s’éleva au milieu de la foule :

— Ce sont les péchés de notre seigneur, le comte Gunther, dit-elle ; quand la chambre où il menait ses maléfices sera brûlée, Satan n’aura plus où mettre le pied dans le bon château de Bluthaupt !

On se signa ; et l’on attendit avec une impatience croissante, comme si cet incendie eût été le premier acte du mystère annoncé. À l’intérieur du manoir, les valets s’agitaient pour éteindre le feu. La chasse était rentrée, on avait des bras tant qu’on en voulait. La seule chose qui pût étonner, c’est que les maîtres du château ne se montraient point. Tout en cherchant à éteindre le feu, on fit main basse sur Mâlou et Pitois, qu’on avait trouvée sur le théâtre de l’incendie. Ces drôles prétendaient avoir reçu des Geldberg eux-mêmes mission de mettre le feu, parce qu’il y avait des bandits cachés à l’étage supérieur. On peut juger s’il était possible de les croire ! Le plancher de ce dernier étage venait d’ailleurs de s’écrouler, et l’on n’avait trouvé nulle trace de ces prétendus bandits. Mâlou et Pitois furent mis en lieu sûr, en attendant que la justice prononçât sur le mérite de leur système de défense.

Franz était debout auprès du bâtard de Bluthaupt. Son regard se baissait. Il y avait sur ses traits une émotion profonde, mais son attitude était fière et digne. On avait enlevé les corps des quatre associés, pour les porter sous la chapelle. Hermann, Gottlieb et les autres Allemands du Temple essuyaient le plancher sanglant.

— Mosès Geld, dit le baron de Rodach, reconnaissez-vous ce jeune homme pour l’enfant de Gunther de Bluthaupt et de la comtesse Margarethe ?

Le vieillard roula ses petits yeux gris et garda le silence.

— Mosès Geld ! reprit Rodach, je vous ai laissé la vie parce qu’un ange s’est mis entre mon épée et vous… et aussi parce qu’il me fallait un