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Hans Dom tendit l’arme que le joueur d’orgue saisit ; ce dernier redoubla de vitesse, comme s’il eût reçu une impulsion nouvelle, et bientôt il y eut un intervalle entre lui et le marchand d’habits. Hans Dorn vit bien que tout espoir de salut était désormais dans le jeune homme.

— Jean, cria-t-il de loin, courage, mon fils ! Si tu le sauves, je te jure devant Dieu que Gertraud est à toi !

Jean bondit comme si ces mots lui eussent donné des ailés. Le trou de là Hœlle de Bluthaupt s’ouvrait, comme nous l’avons dit âu prologue de cette histoire, au sommet d’un plateau d’une certaine étendue, et juste au milieu d’une longue allée de mélèzes. Quand le marchand d’habits arriva au bout de cette allée, Jean était déjà bien loin. Hans Dorn poursuivit sa bourse. Vers le milieu de l’avenue, il s’arrêta court, parce qu’une détonation venait de retentir. La lumière du coup lui montra, sur le bord de la Hœlle, un groupe de deux hommes, tous deux armés, et tous deux le fusil en joue. L’un, qui était debout, abaissait le canon de son arme vers le fond de l’entonnoir, l’autre, qui était a genoux, semblait viser son compagnon à la tête. La lueur dura la vingtième partie d’une seconde, et cette étrange silhouette disparut… Mais ce fut pour reparaître, car une seconde lumière se fit, produite par le coup de feu de l’homme à genoux. L’instant d’après, Jean Regnault revenait à pleine course, en brandissant son fusil au-dessus de sa tête.

Depuis une demi-heure, Franz et Denise causaient au fond de la Hœlle. C’était là qu’ils s’étaient donné rendez-Vous la veille, au bal. Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient vus ainsi, seul à seul, et ils étaient bien heureux. Ils s’entretenaient de leurs espoirs et de leurs craintes, puis ils repoussaient la frayeur importune pour s’arranger à deux un doux avenir. Les saillies de l’entonnoir et les roches éboulées les protégeaient contre la lumière trop vive ; la chasse aurait pu passer le long de la traverse sans les apercevoir. Au contraire, d’en haut, on les voyait distinctement par derrière. Et certes, s’ils redoutaient une surprise, ce n’était point de ce côté… Ils étaient là, l’un près de l’autre, les mains unies et à bout de paroles ; ils se souriaient, muets de tendresse et de bonheur. Le premier coup de feu retentit au sommet de la Hœlle ; une balle siffla entre la tête de Franz et celle de Denise. Et pourtant ces deux têtes étaient bien près