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Otto étendit le doigt vers Sara, dont le pas plus vif disait l’impatience croissante. M. de Laurens s’agita sans relever la tête et reprit :

— Je suis bien malade !… Il y a un voile au-devant de mes yeux… je crois que ce n’est pas elle.

La pitié serra le cœur d’Otto.

— C’est elle, répliqua-t-il pourtant, la fille aînée de Moïse de Geldberg.

Et comme la poitrine de l’agent de change rendait un gémissement sourd, il ajouta :

— Vous l’aimez donc bien, monsieur de Laurens ?…

Celui-ci ne répondit point, mais il releva la tête avec lenteur, et Otto vit deux larmes rouler sur sa joue pâle.

Il y eut un silence.

— Écoutez, reprit le bâtard de Blulhaupt ; depuis votre départ de Paris, je suis comme le chef de la maison de Geldberg… J’ai dû m’occuper de vos affaires… Il y a longtemps que je m’intéresse à vous, monsieur ; j’ai relevé votre crédit, et vous êtes désormais riche autant que jadis.

Laurens remit ses deux mains sur la pierre poudreuse, et répondit d’un accent morne :

— Que m’importe cela !…

Puis il ajouta, en redressant tout à coup sa taille affaissée :

— N’est-ce pas lui que j’aperçois là-bas ?

— Qui ? demanda Otto.

— Celui qui doit venir…

L’agent de change glissa sa main dans son sein et serra le manche d’un poignard. Otto croisa ses bras sur sa poitrine ; il mesurait avec stupéfaction la misère profonde de cet homme.

— C’est donc sur lui que vous voulez vous venger ! dit-il ; mais c’est un enfant !… mais il a cédé, comme on fait à son âge, aux artifices de cette femme !…

— Elle l’aime ! interrompit Léon de Laurens.

— Elle l’aime ! répéta Otto avec amertume ; oh ! vous ne la connaissez donc pas toute entière !… Entendez-moi, car il est peut-être temps