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mouvement léger se fit dans les ténèbres du bois. La grande ombre que nous avons vue se coller au tronc d’un mélèze se détacha de l’arbre lentement, et un cri aigu retentit dans le silence de la forêt. Ce cri avait des intonations étranges et reconnaissables. Nous l’avons entendu deux fois déjà : la première au moment où les bâtards de Bluthaupt s’échappaient de la prison de Francfort ; la seconde au bal de l’Opéra-Comique, alors que se jouait sous les yeux de Franz, cette bizarre comédie du cavalier allemand, du majo et de l’Arménien. Ce cri était le signal convenu dès longtemps entre les trois frères, et qui leur avait servi bien souvent dans leur vie de proscrits.

Une seconde s’était à peine écoulée, qu’un cri pareil se faisait entendre dans les taillis, à une distance considérable ; un troisième écho, si faible qu’on pouvait à peine le saisir, arriva dans la plaine. Le personnage caché dans le bois se tut et attendit. Le premier effet de son appel fut l’arrivée d’un homme en costume de paysan qui tenait un cheval par la bride. Quelques instants après, un double galop se fit ouïr et deux cavaliers s’arrêtèrent au milieu de la halte. Leurs visages disparaissaient sous de grands chapeaux rabattus, et ils étaient enveloppés dans des manteaux rouges. Notre homme du bois, qui s’était mis en selle, portait exactement le même costume.

— Ami Dorn, dit-il au paysan, vous allez rester là, car ils vont revenir ; vous, Goëtz, au bord de l’étang, vous, Albert, auprès de la maison de Gottlieb, sous la Tête-du-Nègre ; moi aux ruines du village !

Leurs éperons piquèrent le flanc de leurs chevaux qui bondirent ; la lueur brillante de l’illumination montra un instant les plis écarlates de leurs manteaux qui flottaient au vent. Puis ils disparurent, chacun dans la direction indiquée. Hans Dorn, resté seul, sortit du cercle de lumière et alla s’appuyer à son tour contre le tronc du mélèze.

Tandis qu’Albert tournait le château pour se rendre à la maison de Gottlieb et que Goëtz descendait au galop vers la plaine, Otto remontait l’avenue pour gagner les ruines de l’ancien village de Bluthaupt. Le champ où se trouvaient ces ruines restait un peu en dehors des routes préparées pour la chasse ; néanmoins l’illumination voisine y envoyait de vagues clartés. Otto descendit de cheval à deux cents pas du champ, et