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naître le costume pimpant et la courte taille de M. le chevalier de Reinhold. Comme il arrivait à l’endroit où la chasse s’était arrêtée naguère, il mit sa main au-devant de ses yeux, afin de regarder un objet qui passait par la traverse d’Heidelberg. C’était encore un cheval avec son cavalier, dans lequel Reinhold crut reconnaître, au premier aspect, le docteur Mira, revêtu de sa longue redingote. Il prononça le nom du Portugais ; personne ne répondit. Le chevalier s’était trompé de sexe. Le prétendu cavalier était une femme portant un costume d’amazone en drap de couleur sombre. Un voile épais lui couvrait le visage. Sous ce voile, se cachaient les traits pâles et bouleversés de madame la vicomtesse d’Audemer, qui avait quitté la chasse, poursuivie par les paroles de l’Homme Rouge, et qui se rendait seule à la Hœlle de Bluthaupt. Ses souvenirs avaient sommeillé longtemps, elle s’était endormie dans une crédulité volontaire ; mais le sang de son père s’éveillait en elle, et son cœur avait parlé durant l’insomnie de la nuit précédente. Elle voulait savoir, quoi qu’il pût lui en coûter désormais ! Elle laissa, sur sa gauche, la traverse de Heidelberg tourner la base de la montagne, et gravit toute seule, le cœur serré, la main tremblante, le sentier étroit qui conduisait à la bouche de la Hœlle. La route était longue encore et son courage défaillait déjà. Le chevalier arrêta sa monture au centre du carrefour. Il était là sans doute à un rendez-vous, car il attendit. Une minute environ après le passage de la vicomtesse, une autre amazone, qui suivait aussi la traverse de Heidelberg, s’avança au galop léger d’un charmant cheval. Impossible de prendre celle-ci pour le docteur José Mira ! Un spencer de satin emprisonnait sa taille souple et fine ; c’était une jeune fille et une charmante jeune fille suivant toute probabilité. Elle glissa dans le demi-jour et poursuivit sa route. L’idée vint au chevalier que c’était Denise d’Audemer ; mais quelle apparence ! Il avait laissé Denise entre Julien et sa mère, au beau milieu de la foule, sur la route de l’étang de Geldberg… Qu’elle fût ou non Denise, l’amazone ne prit pas le même chemin que la vicomtesse : elle laissa sur la droite le sentier qui montait au trou de la Hœlle, et continua de descendre la traverse de Heidelberg.

— Je crois que l’autre était aussi une femme ! grommela Reinhold. Où diable vont-elles donc comme ça ?… Il n’avait pas achevé qu’une troi-