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gieux. C’était en somme un gentleman bien passable, et Victoria-Queen, son élève, faisait l’éloge de ses capacités. Il y eut une première halte au bout de l’avenue, entre la traverse de Heidelberg et la lisière de la forêt. La partie mâle des invités entoura le jeune M. de Geldberg, comme un état-major bien appris se groupe autour du général en chef, à l’heure solennelle de la bataille. Le fils de Mosès Geld prit la parole, d’une voix haute et ferme. Sans se tromper une seule fois, il divisa les postes de chasse entre les assistants avec une liberté d’esprit qui lui fit grand honneur. Il traça en peu de mots l’itinéraire des dames et donna le signal du départ définitif. On avait fait le bois dans la matinée. Un cerf courable avait été détourné dans les taillis avoisinant l’étang de Geldberg. Durant tout le jour, on l’avait gardé à vue pour ainsi dire, et l’on était sûr du lancé. C’était vers la plaine et l’étang de Geldberg que la partie active de la chasse devait se porter. Les dames et les paresseux avaient leurs places désignées à certains carrefours pour voir passer le cerf. Les piqueurs, cependant, triaient la meute et choisissaient les relais. On était entré dans le cercle brillant formé par l’illumination. La nuit de l’avenue était loin déjà ; chiens et chevaux, trompés parce jour factice, prenaient leur ardeur matinière. Au signal donné, la chasse s’élança comme un tourbillon ; voitures et piétons se dispersèrent dans des directions diverses.

L’emplacement où s’était faite la halte resta solitaire durant quelques instants. Au bout d’un quart d’heure, on aurait pu voir une ombre se glisser dans le fourré à quelques pas de la lisière et s’adosser, immobile, à un arbre. À moins de l’avoir aperçue d’avance, il était impossible de distinguer maintenant ce personnage, qui était protégé contre le regard par l’ombre du tronc d’un mélèze, et semblait faire corps avec l’arbre auquel il s’appuyait. On entendait de temps en temps et par bouffées le bruit lointain du galop des chevaux, les aboiements de la meute et le son adouci des fanfares. L’air était froid, mais lourd et calme ; pas une lumière ne s’éteignait dans la campagne scintillante, et le paysage gardait intacte sa merveilleuse parure. Le pas d’un cheval résonna sur le gazon de l’avenue, et la silhouette d’un cavalier apparut confusément au loin. Il marchait au milieu de la voie, et à mesure qu’il approchait, la lumière l’éclairait plus distinctement. À vingt pas de la halte, on eût pu recon-