Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à deux battants et la chasse sortit. C’était une nuit sombre, mais sèche ; de gros nuages sans pluie couvraient le ciel. En franchissant la grille, les invités se trouvèrent en face d’un admirable spectacle. L’immense paysage qu’on découvrait le jour, du sommet de la montagne, était en quelque sorte dessiné dans la nuit par de longues lignes de lumières. La forêt resplendissait ; chaque arbre avait sa ceinture de feu. Le long des routes que devait suivre la chasse, l’illumination allait traçant de capricieuses courbes, qui se mêlaient dans la nuit sombre comme des lignes entrelacées d’un parafe. Et tous ces feux, multipliés à l’infini, perdaient leurs lueurs dans les grandes ténèbres. Ils brillaient comme autant d’étoiles, mais de loin ils semblaient ne point éclairer les objets environnants. Cela faisait l’effet d’une immense arabesque, tracée avec des pointes de diamants sur un gigantesque fond de velours noir. Pour ménager un contraste sans doute, les ordonnateurs de la chasse avaient laissé dans l’ombre la pente de la montagne où s’asseyait le château de Geldberg. On voyait l’illumination commencer tout au bout de la grande avenue. Ce fut par cette voie que la chasse s’engagea. Les invités du dehors et les gens du pays étaient là en foule, les uns à pied, les autres équipés pour le courre. Il y eut un hourra pour les dames, et le cortège descendit l’avenue. On n’était pas encore en train ; la meute pelotonnait, dans l’ombre, ses couplets muets. Il y avait, parmi les femmes surtout, un peu d’hésitation, car la forêt de Geldberg était pleine de dangereux passages et, si splendide que fût l’illumination, il était impossible de croire, avant d’avoir vu, qu’elle put remplacer la lumière du jour. Le départ s’opérait lentement et avec une sorte d’embarras. On voyait çà et là des laquais secouant des torches rouges et chevelues. Les chevaux s’effrayaient ; la meute, étonnée, s’amassait en troupeau et refusait d’avancer.

Le jeune M. de Geldberg, en costume anglais, taillé sur un patron tout à fait supérieur, tenait la tête de la cavalcade. Il avait mis Victoria-Queen au trot, et tenait déjà cette attitude malade, pénible, éreintée, qui remplace, chez nous, grâce au progrès de l’art équestre, la fière mine des cavaliers du vieux temps. Il s’agitait beaucoup ; il donnait des ordres d’une voix brève et napoléonienne. Il trouvait parfois dans sa mémoire des mots britanniques qui, vu la circonstance, faisaient un effet prodi-