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C’était bien près de là, aux environs d’Esselbach, que s’était passée son adolescence heureuse. En arrivant à Geldberg, elle avait reconnu ce grand et fier château devant lequel le proscrit rêvait, alors qu’elle l’avait vu pour la première fois. Dans les campagnes voisines, elle avait retrouvé les sentiers connus où Otto lui parlait d’amour. Otto était là, pour elle, sous ces grands arbres, où ils s’asseyaient naguère, émus tous deux et pleins de confiance en l’avenir. Quelques mois à peine s’étaient écoulés depuis lors, et l’avenir, maintenant, c’était toute une vie de deuil ! Car la voix de l’ermite n’avait trouvé que bien peu d’espoirs à tuer dans le cœur de Lia ; elle acceptait cette sentence et n’y faisait point d’appel. On lui annonçait le malheur ; elle avait compris, parce que le malheur, pour elle, c’était uniquement la perte d’Otto. Brisée de douleur et de fatigue, elle voulut chercher le sommeil ; le sommeil ne vint pas.

Durant une heure, on aurait pu la voir, blanche et pâle, étendue sur son lit ; ses yeux ne pouvaient point se fermer. Elle se releva et ouvrit sa fenêtre, donnant sur la campagne. C’était une belle nuit d’hiver ; la lune haute glissait lentement au ciel sans nuages. Le paysage, éclairé vaguement, s’étendait à perte de vue et mêlait au loin ses lignes confuses que voilait une brume argentée. On voyait se dresser l’ombre noire des grands mélèzes aux flancs de la montagne ; sur la route d’Obernburg, les ruines de l’ancien village de Bluthaupt blanchissaient dans l’herbe sombre et ressemblaient aux tombes éparses d’un cimetière. Tout cela était calme, désert, silencieux. Une mélancolie désolée s’exhalait de cette grandeur muette. Le froid fit d’abord éprouver au front ardent de la jeune fille une sensation de bien-être, mais bientôt son corps transi eut une sorte d’engourdissement ; la fièvre, redoublée, mit un flux d’idées folles dans son cerveau. Elle se pencha sur l’appui de sa fenêtre ; le vide énorme qui était au-dessous d’elle l’attirait. Elle se rejeta en arrière. Son esprit était frappé. Dans sa chambre, un bruit se faisait, ce même bruit qu’elle entendait bien souvent et qui semblait la poursuivre en Allemagne comme à Paris. Elle s’arrêta, tremblante et l’oreille attentive. En ce moment de trouble, la frayeur s’empara d’elle bien plus vivement qu’à l’ordinaire ; son regard, qu’elle tourna vers la campagne, lui montra, mouvant et agité, chacun des objets qu’elle venait de voir immobiles. Les noirs mélèzes