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une traînée de poudre qu’on allume. Ses fantastiques souvenirs des derniers jours passés à Paris, ses espérances folles, ses désirs, ses craintes, ses rêves, tout cela s’était entrechoqué dans son cerveau.

— Je veux savoir !… avait-il dit.

— Vous saurez tout demain, répliqua l’Homme Rouge.

— Aujourd’hui !… à l’instant même ! s’écria Franz hors de lui ; je ne vous lâche plus avant que vous ayez parlé !…

Quant à Julien, nous l’avons laissé dans une situation d’esprit qui rendait probable et imminente l’insulte proférée. Au moment où il demandait grâce pour ainsi dire, l’Homme Rouge s’était arrêté, pris de compassion. Mais l’Homme Rouge avait sans doute un intérêt plus fort que sa pitié. Après un silence, il reprit la parole. Julien était livide à l’écouter.

— Avez-vous la mémoire si courte, disait l’inconnu que vous ayez oublié votre joyeux souper du café Anglais, monsieur le vicomte !… Vous aviez là une belle maîtresse, sur ma parole !

Julien se souvenait de ses doutes ; il sentait venir la révélation poignante ; il avait envie de tuer cet homme pour arrêter les mots dans sa gorge au passage.

— Mais ces belles maîtresses, reprit l’Homme Rouge, ne sont pas bonnes à porter un nom comme celui de votre père… d’autant qu’elles ont souvent la mémoire admirablement ornée et qu’elles regorgent de souvenirs… À ce propos, monsieur le vicomte, si vous gardiez quelques doutes, ayez la bonté de demander à la comtesse Esther des nouvelles d’un certain baron allemand qui avait nom Goëtz…

Julien voulut parler, mais il ne put.

— Un bon vivant que ce Goëtz ! reprit l’Homme Rouge ; ma foi ! la comtesse et lui s’entendaient à merveille, bien que le baron n’eût point la bouffonne idée de l’épouser !…

Julien demanda le silence, d’un geste où il y avait autant de prière que de menace.

— Non, dit l’inconnu, répondant à ce geste, je ne veux pas me taire avant d’avoir achevé… car je suis l’ami du vicomte Raymond, depuis sa mort comme durant sa vie… Et ce ne sera pas sans être averti que son fils deviendra l’époux d’une femme perdue !