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— Rendez-vous demain, madame, répliqua l’Homme Rouge, une heure après l’ouverture de la chasse aux flambeaux, dans l’allée de mélèzes qui conduit à l’Enfer de Bluthaupt… le témoin du crime vous montrera lui-même l’endroit où trébucha le cheval de Raymond d’Audemer.

— J’irai… murmura la vicomtesse.

En ce moment la danse finissait. Le mouvement qui se faisait dans le bal ramena vers les deux interlocuteurs Reinhold et José Mira. La vicomtesse, un instant écrasée sous le poids de ces effrayantes révélations, se révolta de nouveau, incrédule. Une idée lui traversa l’esprit comme un trait de lumière. Elle pensa qu’une intrigue jalouse, montée dans l’ombre parmi les invités de Geldberg, voulait entraver le double mariage de son fils et de sa fille. C’était son rêve le plus cher. Oubliant son émotion récente, et forte de l’idée qu’on voulait la tromper, elle ne vit plus dans l’inconnu qu’un homme abusant du privilège de son masque et jouant une perfide comédie. L’envie lui prit de voir à découvert le visage du calomniateur.

— À moi, monsieur de Reinhold ! cria-t-elle.

L’Homme Rouge fit un mouvement de surprise. À peine aurait-on eu le temps de s’en apercevoir. Il reprit aussitôt une attitude fière et assurée. Au cri de la vicomtesse, Reinhold et Mira s’approchèrent en même temps. Tous ceux qui avaient été à portée d’entendre cet appel, dont l’accent avait quelque chose de tragique, s’avancèrent curieux, et firent cercle autour de l’inconnu. Par une coïncidence étrange, le même fait se reproduisait dans deux autres parties de la salle. On entourait le premier Homme Rouge, que Franz avait saisi sans façon au collet ; on entourait le second Homme Rouge, à qui Julien d’Audemer venait de dire à haute et intelligible voix :

— Vous mentez !…

Cela faisait une triple esclandre. Entre les contredanses, ce bal avait vraiment des incidents assez dramatiques. On ne s’y prodiguait pas les coups de poing comme à l’Opéra, mais le fait pouvait être attribué à l’absence de sergents de ville. La conversation de Franz et de son compagnon avait suivi son cours jusqu’à l’instant où ce dernier avait prononcé quelques paroles, donnant à entendre qu’il connaissait les secrets de la destinée du jeune homme. L’imagination de Franz était alors partie comme