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Il y avait dans son accent et dans sa pose une menace de violence. La voix de l’Homme Rouge était de plus en plus calme.

— Je ne vous parle plus du passé, reprit-il, mais du présent… Cette femme dont vous avez fait votre fiancée…

— Taisez-vous, monsieur ! interrompit Julien qui lui saisit le bras.

Ce mot siffla entre ses dents serrées par la colère.

— Cette femme, reprit encore l’Homme Rouge sans s’émouvoir, est une…

La main de Julien se colla, convulsive, sur la bouche de l’Homme Rouge. Celui-ci le repoussa mais sans violence. À travers les trous de son masque, il regardait le jeune vicomte avec une évidente compassion.

— Vous l’aimez donc bien ?… murmura-t-il.

— Comme je n’aimerai jamais femme en ce monde ! répliqua Julien d’Audemer.

L’Homme Rouge sembla hésiter.

En ce moment, il se passait dans le bal quelque chose d’étrange. — Tandis que l’orchestre entraînait les danseurs aux accords sautillants d’une mazurka ultra-nationale, la mystérieuse trinité des Hommes Rouges, qui avait produit tant d’effet au commencement du bal, semblait s’être dédoublée. Ce détail échappait au plus grand nombre, mais il y avait maintenant six Hommes Rouges dans la salle. Six hommes qui portaient le fantastique manteau des démons de la légende. La salle était immense et la foule compacte. Les six hommes aux manteaux écarlates se trouvaient disséminés. Personne ne songeait à les compter. La triple scène dont nous avons entamé le récit se poursuivait, et à mesure qu’elle continuait, Franz, Julien et la vicomtesse d’Audemer se troublaient davantage en face de leurs interlocuteurs inconnus.

— Laissez-moi, monsieur ! disait la vicomtesse.

— Quand vous m’aurez éloigné, répondait le troisième Homme Rouge de sa voix lente et sévère, — vous resterez avec votre conscience, madame… Mais voyez si je n’avais pas raison de dire que vous avez tout oublié !… vous êtes ici, souriante et gaie, depuis bientôt quinze jours, dans ce château où furent assassinés Gunther de Bluthaupt et votre sœur Margarethe…