Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— À demain !… dit-elle.

L’ombre disparut comme par enchantement… Le Madgyar, essoufflé, se trouvait au pied du petit escalier tournant qui conduisait à la Tour-du-Guet.

Le Madgyar Yanos avait été, durant plusieurs mois, le commensal de Zachœus Nesmer, à l’époque où Van-Praët et Mira ménageaient l’agonie lente du vieux Gunther de Bluthaupt. Il connaissait alors parfaitement le château, mais de longues années avaient passé depuis ce temps-là ; Yanos avait pu oublier.

À l’endroit où l’ermite fugitif venait de disparaître, une obscurité presque complète régnait. On n’avait d’autre lumière que les rayons perdus d’une lampe située derrière un coude du corridor et dont les murailles noires répercutaient faiblement la lumière. La galerie se prolongeait à perte de vue et n’offrait, en apparence, aucune issue latérale. Cette disparition soudaine de l’ermite avait l’air d’un coup de magie, et l’idée vint au Madgyar que le sol s’était entr’ouvert pour lui donner passage.

Depuis son arrivée en Allemagne, le seigneur Georgyi était en proie à une sorte de maladie morale. Il souffrait. Le souvenir de sa femme infidèle le poursuivait cruellement, et sa vie se passait en des alternatives de colères fougueuses et de mornes tristesses. Ce n’était pas tout ; d’autres souvenirs plus lointains semblaient se lier avec son angoisse jalouse. Ses nuits étaient pleines de fantômes, et il croyait à la vengeance de Dieu. D’obsédantes terreurs l’étreignaient à l’improviste et abattaient ce brutal courage que nul péril humain n’aurait pu faire fléchir. En ce moment, le choc qu’il venait de subir rendait son imagination plus vulnérable encore. Il sentit la fièvre sinistre qui brûlait ses nuits sans sommeil monter à son cerveau ; des spectres se dressèrent devant lui dans les ténèbres, et il recula, brisé d’épouvante, parce qu’il voyait, en travers du corridor, un cadavre étendu, les cheveux dans la poussière… Il mit ses deux mains sur son front en feu ; le nom d’Ulrich tomba de sa bouche comme une plainte suppliante. Il n’osa pas faire un pas de plus pour visiter l’endroit qui avait servi d’issue à l’ermite. Il se prit à marcher à reculons, la main sur la garde de son sabre, et rappelant son courage défaillant, pour se défendre contre ses invisibles ennemis. Arrivé au bout du corridor, il