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baroques des mandarins-tailleurs du Céleste-Empire, un troisième au goût bizarre de la Renaissance, un quatrième enfin à la crâne élégance du règne de Louis XIII. Ces quatre groupes principaux faisaient tableau. Tout autour d’eux les fantaisies individuelles se remuaient et leur formaient un cadre mobile. Cela ne ressemblait point à nos bals publics de Paris, où la foule travestie est tachée de place en place par le triste et fastidieux habit noir, le pékin n’existait pas ; le domino lui-même, cette hideuse et charmante chose, était complètement banni. Vous ne voyiez que mousquetaires coudoyant des lettrés de Chine, faccadins et kalanders se frotter contre des seigneurs de la cour du roi-gentilhomme ; des dames d’honneur de Marie de Médicis, des princesses persanes, des victimes du Directoire, des Andalouses, des Grecques, des Écossaises. Abd-el-Kader, Schamyl, Ibrahim-Pacha, Yo-té-té, Jupiter, Mahomet, Napoléon, l’Ante-Christ. Tout cela, dansant, walsant, polkant, mazurkant aux sons des violons de Tolbecque. C’était plein de mouvement, de vie et de lumière. Au premier coup d’œil, il était impossible de s’y reconnaître : tous les visages disparaissaient sous le masque, et l’excentricité des costumes déguisait les tournures. À la longue pourtant nous eussions fini par distinguer nos divers personnages. Le docteur José Mira, portant la robe longue et le haut bonnet du magicien, donnait le bras à une caricature antique munie de paniers et de falbalas, qui n’était autre que madame la duchesse de Tartarie, belle femme de 1809. Reinhold, en Figaro, papillonnait autour de madame d’Audemer, qui semblait encore fort jolie sous son costume de Pompadour. Denise et Franz faisaient partie du quadrille Louis XIII. Esther, en Dame-de-Beauté, Julien, sous la casaque de Sindbad le Marin, se mêlaient au groupe oriental. Le jeune monsieur Abel de Geldberg avait eu le bon goût de se déguiser en jockey ; casaque rouge, toque bleue, ceinture verte, culotte couleur de chair, bottes à revers blancs. Il était le cavalier de madame la marquise de Beautravers, au bras de laquelle il regrettait sincèrement la compagnie préférée de Victoria-Queen. La petite demoiselle de quinze ans que Mirelune courtisait, dans des vues solides, avait un chapeau de paille, des rubans bleu tendre et une houlette ornée de coquelicots ; elle lisait Florian le soir, en cachette, avant de s’endormir. La grosse banquière de la rue Laffite,