Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ser une forme chère évoquée par sa rêverie ; — ses lèvres s’entr’ouvraient parfois pour sourire.

Son corps était là, faisant acte de présence, et son âme était ailleurs.

Par le fait, le digne Fabricius avait, lui tout seul, les charges de la conversation. — Et le fardeau n’était pas trop lourd pour un Hollandais si éloquent.

Il avait déjeuné ; il était en un de ces moments propices où l’on parle d’abondance, sans s’inquiéter trop de la disposition de l’auditoire.

Du reste, si ses associés ne l’écoutaient point, il avait du moins un auditeur attentif dans la personne de Klaus, qui prêtait l’oreille sans faire semblant de rien, et ne perdait pas une seule de ses paroles.

Klaus prolongeait sa besogne à plaisir.

Il desservait la table de cet air grave et lier que nous lui avons vu dans l’antichambre de Geldberg, lorsqu’il était revêtu du fameux habit noir.

Deux minutes auraient dû lui suffire à enlever la table où Van-Praët avait déjeuné seul, mais il travaillait déjà depuis un gros quart d’heure et il n’avait pas fini.

Personne n’avait remarqué jamais que Klaus fût un domestique curieux. — Sa lenteur n’excitait ni inquiétude ni surprise ; on n’y prenait point garde.

— C’est une chose extraordinaire, dit Van-Praët en chauffant ses pantoufles, — que la puissance des souvenirs !… Quand je m’éveille entre ces murailles connues et que je vois entrer le matin ce bon garçon de Klaus, je suis toujours tenté de lui demander des nouvelles de Zachœus. Klaus était déjà au château dans le temps… Vous vous souvenez bien de lui, docteur ?

— Oui, répondit Mira.

— Ah ! les bonnes soirées que nous avons passées ici ! reprit Fabricius ; — Nesmer n’était pas ce qu’on appelle un joyeux compagnon, mais il buvait comme une éponge, et il n’y paraissait pas… Ça fait toujours plaisir de voir un homme qui porte le vin comme il faut !… Ah ! ah ! docteur, vous ne buviez guère, vous, mais vous faisiez boire !… Je ne peux jamais penser sans rire à ce diable d’élixir de longue vie !…

La maigre figure du Portugais grimaça.