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— Jean ! petit Jean ! criait-elle.

La lèvre du joueur d’orgue effleura le front de Gertraud, puis il se releva.

— Est-ce que vous allez encore avec cet homme ?… demanda la jeune fille effrayée.

— Oui, répondit Jean.

Sa taille s’était redressée, et une intrépide volonté brillait dans son œil.

— Jean ! petit Jean ! criait de loin le cabaretier Johann.

— J’ai ma tâche désormais, poursuivit le joueur d’orgue, en aidant la jeune fille à se relever. Adieu, Gertraud !… Je réparerai ma faute, ou vous ne me reverrez plus…

Il disparut entre les roches, après lui avoir jeté de loin un dernier baiser.

Jean était parti déjà depuis plusieurs minutes que Gertraud restait encore sur la plate-forme, immobile et pensive.

Depuis une demi-heure à peine, tant de choses s’étaient passées ! Tous ces événements, étroitement enchaînés, se mêlaient dans son cerveau trop plein. Malgré ce qu’il y avait d’heureux dans le dénoûment de son entrevue avec Jean Regnault, son cœur se serrait.

Elle était là, tout près du bord de la plate-forme où elle avait vu le pauvre joueur d’orgue se pencher en équilibre entre la vie et la mort. Elle était à la place même où se dressait naguère la Tête-du-Nègre, cette arme gigantesque à l’aide de laquelle Jean, frappé de folie, avait voulu commettre un assassinat.

Elle avait à se réjouir, puisque Franz et Jean vivaient ; mais elle avait à se désoler, puisque Jean était coupable.

Elle s’appuyait à l’une des grandes pierres qui faisaient autrefois comme une ceinture à la Tête-du-Nègre. Une larme perlait encore sous sa paupière demi-close, et son front rêveur s’inclinait sur sa main.

Au milieu de sa méditation triste, une douce pensée vint et mit un sourire à sa lèvre.

— Pauvres femmes ! murmura-t-elle ; depuis hier, elles cherchent en vain… je vais les rendre bien heureuses !