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Son cœur se brisait, car elle pensait qu’elle seule était cause de cette mort ; elle lui avait laissé croire que Franz avait succombé…

Et Jean se tuait parce qu’il ne pouvait supporter l’idée de son crime imaginaire.

C’était une torture inouïe.

Jean fit le dernier pas ; il s’arrêta au bord de la plate-forme, et mesura d’un œil froid la profondeur du précipice.

Son corps se pencha en avant ; au moment où il allait s’élancer, un cri d’agonie s’échappa enfin de la poitrine de Gertraud.

Jean s’arrêta en équilibre.

À ce moment même, une voix jeune et gaillarde monta du fond de la vallée.

Elle chantait gaiement la chanson favorite de la jolie brodeuse.

Jean écouta ; cet air était le plus aimé de ceux que jouait son orgue.

Comme il écoutait, Gertraud le vit tout à coup frémir de la tête aux pieds et se rejeter en arrière.

Il venait de voir Franz sortir de la maison de Gottlieb et poursuivre son chemin, le fusil sur l’épaule, en chantant comme un bienheureux.

Jean restait là, bouche béante et les yeux sortis de la tête ; il n’en voulait point croire le témoignage de ses sens.

Gertraud s’était traînée jusqu’à lui ; elle était agenouillée à ses pieds.

— Je ne pouvais pas ! Oh ! je ne pouvais pas !… balbutiait-elle.

Puis elle s’arrêtait pour remercier Dieu avec passion.

Le regard de Jean l’interrogeait toujours.

— Je ne pouvais pas ! reprit-elle, une main de fer étreignait ma gorge… Oh ! Jean, sait-on comme on aime !… Écoutez ! la pierre a passé tout auprès de lui… Si elle l’avait tué, je ne serais pas là pour vous le dire, car j’étais derrière lui avec mon père…

Jean, dont la joue s’était colorée légèrement, redevint plus pâle à la pensée de ce danger horrible qu’il n’avait point soupçonné.

Il tomba sur ses deux genoux, auprès de Gertraud agenouillée. Leurs bras s’entrelacèrent, leurs prières muettes montèrent unies vers le ciel.

La voix, rauque de Johann se fit entendre au loin, du côté du château.