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vous qui savez le fond de mon cœur, pensez-vous que je fusse capable d’un crime ?

— J’ai vu… dit Gertraud.

Jean pressa des deux mains ses tempes amollies et tremblantes.

— C’est vrai, dit-il tout bas, tandis que ses yeux s’égaraient ; je suis un meurtrier et je n’espère plus ! mais il faut que vous m’écoutiez, Gertraud… Vous auriez pu me sauver d’une parole, et si vous m’aviez dit, alors que je vous quittai, la moitié seulement de ce que je viens d’entendre, le pauvre jeune homme vivrait encore et je ne serais pas un criminel !

Il s’interrompit pour respirer ; la jeune fille attendait.

— J’étais bien pauvre, reprit Jean ; j’étais bien malheureux déjà… et quand on n’a sur la terre qu’un seul bien, Gertraud, on a grand’peur de le perdre !…

» J’étais jaloux !… oh ! je ne le suis plus ! et, au prix de mon sang, je voudrais lui rendre la vie !

» J’étais jaloux !… je me sentais si éloigné de vous et si indigne !

» Un soir, ce soir où je vous empruntai des habits, vous me laissâtes dans la pièce d’entrée en me donnant l’ordre de ne pas regarder derrière moi.

» Je vous aurais obéi, Gertraud, comme toujours, mais j’entendis dans la chambre de votre père le bruit d’un baiser.

» Je me retournai malgré moi ; je vis la figure de ce jeune homme penchée sur votre main… »

— Sur ma main ?… répéta Gertraud étonnée.

— La veille, je l’avais vu déjà causer avec vous dans la cour.

— Mais il y avait une autre femme que moi dans la chambre de mon père ! interrompit Gertraud.

Jean s’appuya contre une roche, parce que ses jambes défaillaient, mais il y avait un sourire autour de sa lèvre.

— Ce sera une consolation pour ma dernière heure, murmura-t-il, et ce sera un châtiment cruel de mon crime… Gertraud ! ma Gertraud ! vous n’aviez pas cessé de m’aimer !

— Et Dieu sait que je n’aurais jamais aime que vous ! répliqua la jeune fille dont la joue prit une teinte rosée.