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de niais vaudevilles, peuvent devenir, à l’heure de l’angoisse, belles et tragiques comme des reines.

Il ne faut pas se les représenter toujours essuyait leurs yeux rouges avec un coin de leur tablier de coton écossais. Tout martyre est noble. Quand son cœur se brise, la grisette devient femme, et M. Paul de Kock n’a plus le droit de lui pincer le menton…

Jean resta longtemps devant Gertraud, silencieux et la tête baissée. La jeune fille le regardait avec une mélancolie sévère, sous laquelle perçait encore sa tendresse sans bornes.

— Jean, dit-elle enfin d’une voix basse et lente, vous m’aviez promis de ne jamais être criminel !

Le joueur d’orgue cacha son front entre ses deux mains.

— Ce n’est donc pas un rêve ! murmura-t-il. Mon Dieu ! mon Dieu !…

— Tous ceux que vous aimiez autrefois sont ici, reprit Gertraud. Cache-t-on la nouvelle d’un malheur ? Votre mère et votre aïeule ont fait la route d’Allemagne, afin de vous retrouver.

— Savaient-elles donc ? murmura Jean dont les mains retombèrent le long de son flanc.

— Elles savent tout.

La physionomie abattue du joueur d’orgue exprima une nuance d’étonnement.

— Qui a pu leur dire ?… balbutia-t-il.

— Moi, répondit Gertraud.

Jean releva sur elle ses yeux timides et indécis.

— Et vous ?… dit-il encore.

— Moi, je vous aimais bien, Jean ! répliqua Gertraud dont la voix tremblait ; je n’ignorais jamais rien de ce qui vous regardait… Quand vous me quittâtes après cette conversation que je n’oublierai point et qui me laissa la mort dans l’âme, je vous suivis… ne pouvant courir après vous dans les rues de Paris, je pris un aide qui s’attacha à vos pas et qui vous épia depuis le Temple jusqu’à la cour des Messageries… Cet aide était votre pauvre frère Joseph… il revint me dire votre entretien avec Johann sous les piliers de la Rotonde… il avait tout entendu.

— Tout !… murmura machinalement le joueur d’orgue.