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Johann le plaça derrière la Tête-du-Nègre et mit son levier sous la roche.

— Fais comme moi, dit-il.

Jean n’hésita pas, il ne demanda point le but de ce travail étrange ; la nuit qui emplissait son cerveau ne lui laissait point la faculté de raisonner et il n’avait nul désir de savoir.

Les leviers agissant d’accord, poussaient imperceptiblement la roche vers le bord de la plate-forme.

Johann riait dans sa barbe.

Au bout de quelques minutes, il cessa de travailler pour essuyer son front en sueur.

— Ça va ! murmura-t-il, ça va, il y aurait de quoi en écraser trente comme lui !…

Jean laissa tomber son levier, et regarda le marchand de vins en face.

Il avait compris par hasard.

— Il y a donc un homme là-dessous ? demanda-t-il d’une voix sourde et paresseuse.

— Prends ton levier, mon petit, répliqua Johann au lieu de répondre ; nous n’en avons pas pour deux minutes désormais !…

Jean ne bougea pas.

— Je ne veux plus, dit-il.

— Comment ! s’écria Johann en colère ; tu recules ?

— Je ne veux plus, répéta Jean avec ce calme imperturbable des cœurs découragés ; je crois qu’il y a un homme là-dessous… il faut que je voie.

Du côté où se trouvait Jean Regnault, la Tête-du-Nègre dépassait de beaucoup le bord de la plate-forme ! c’était à dessein que Johann lui avait choisi ce poste.

Pour pouvoir jeter les yeux en bas, il fallait que Jean changeât de place avec le cabaretier.

Il l’essaya ; Johann le poussa sans effort.

— Écoutez, dit le joueur d’orgue que cet incident ne pouvait émouvoir, si vous ne me laissez pas faire ce que je veux, je vais crier.

— Et moi, je vais te tuer ! répliqua Johann en brandissant sa lourde barre de fer.

— Tant mieux, dit Jean avec fatigue.