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tournait, les louis d’or et les billets de banque disparaissaient comme par magie.

La mère Regnault, qui allait être sauvée, retombait au plus profond du malheur !

Et le lendemain Jean vendait sa conscience.

C’était lui, c’était l’adolescent maudit qui le poussait vers le crime, après lui avoir arraché ses beaux espoirs !

Jean ne voulait pas remplir sa promesse, gagner son argent, comme disait Johann ; sa main frémissait d’horreur à l’idée de toucher le poignard.

Mais c’était seulement lorsqu’il s’agissait de la victime inconnue, poursuivie par le maître de la Girafe. Quand la pensée de Jean se tournait vers son rival, quand son rêve éveillé lui représentait la scène du lundi-gras dans la chambre de Hans Dorn : la main de Gertraud effleurée, le bruit d’un baiser, le sourire vainqueur de l’étranger, ses doigts frémissaient encore, mais c’était d’aise, et le poignard détesté, il eût voulu cette fois le tenir !

Oh ! point de grâce, sa haine était mortelle, il avait tant souffert !

Pendant cinq ou six jours, il supporta le froid et la faim, perdu dans les grands bois qui entouraient le château de Geldberg. Le soir, il frappait à la porte de quelque cabane, demandant un morceau de pain et l’hospitalité.

Des esprits plus robustes que le sien n’eussent point résiste peut-être à l’effet accablant de cette longue solitude, toute pleine de visions sombres et de cruelles pensées.

Sa nature morale fléchit. Au bout de six jours, il n’avait plus ni volonté, ni force. Johann le rencontra et l’emmena prisonnier sans résistance.

Ce matin, il venait là sur les pas de Johann parce qu’on le lui avait commandé ; le seul effort dont il fût capable, c’était de mettre un voile sur sa pensée, afin de se cacher lui-même le fond de sa conscience.

Et pourtant parmi ces ténèbres où s’endormait sa pauvre âme réduite à l’inertie, il y avait une résolution vague, mais obstinée : Jean ne voulait point tuer.