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— Eh bien ?… fit Johann qui ne put réprimer un mouvement d’inquiétude.

— Eh bien ! poursuivit le joueur d’orgue en pressant son front à deux mains, je ne m’en souviens plus !

Johann respira. Ses lèvres minces s’ouvrirent en un sourire silencieux.

— Pauvre garçon ! murmura-t-il ; étais-tu ivre cette nuit !… mais il n’y a rien à dire en temps de carnaval !… Je t’ai touché, en effet, quelques mots de ta grand’mère, et je ne me dédis pas… seulement tu vas trop loin… je t’ai dit que je chercherais… et tu as rêvé le reste.

— Non, non ! s’écria Jean ; je n’ai rien rêvé…

— Plus bas !… mon fils, c’est étonnant les rêves qu’on fait quand on est ivre !

Johann regarda le joueur d’orgue en face, puis il baissa les yeux.

— Faudrait savoir avant tout, murmura-t-il, si ça te conviendrait de quitter Paris pour quelque temps…

— Tout me conviendra, si ma pauvre grand’mère est sauvée !

— À la bonne heure… c’est que, vois-tu, il y a des gens qui n’aiment pas à voyager… Puisque tu as du goût pour la chose, toi, ça ne fera pas un pli… un petit tour en Allemagne, une promenade où tu gagneras, bien gentiment et sans te fatiguer, quelque chose de bon.

— Mais, pour cela, il faudra travailler ?…

— Un peu…

— À quoi ?

Le regard de Johann se glissa une seconde fois, sournois et craintif, jusqu’au visage du jeune homme.

— Nous reparlerons de ça… murmura-t-il.

— Non, non, non ! s’écria Jean ; il faut en parler tout de suite !… J’ai entendu dire souvent que vous étiez un homme dur et sans pitié, voisin Johann… le Bausse a des millions ; sans vous, songerait-il à mettre en prison de pauvres malheureux ?…

— Allons donc !… fit Johann.

— Écoutez, je crois que vous avez bon cœur, si vous me dites seulement un mot qui me donne à espérer… vous avez perdu ma grand’mère ; ne niez pas, je le saisi… si vous m’aidez à la sauver, j’oublierai tout,