Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seigneur ? Ce jeune homme inconnu qu’elle avait vu entrer une fois, pauvre et suppliant, dans la maison de son père, était-il l’héritier de cette race puissante qu’on l’avait accoutumée dès le berceau à vénérer comme divine ?

Était-ce là le fils des comtes ?…

Durant le premier instant, son regard prit une expression de crainte respectueuse ; elle vit comme une auréole autour du front souriant de l’enfant ; puis, elle baissa les yeux, attendrie ; car son cœur était celui de sa mère et il y avait en elle plus d’amour encore que de respect.

Pendant cela, le marchand d’habits faisait effort pour se remettre ; car, plus il voyait Franz, étourdi toujours et personnifiant l’imprudence, plus il craignait de lui confier ses propres secrets. Impossible de servir Franz autrement qu’à son insu. Il était de ces gens qui jouent cartes sur table avec les filous, et le jour où on lui aurait mis entre les mains sa propre partie, elle eût été perdue pour jamais.

Franz n’avait point aperçu le trouble du marchand d’habits ; quant à celui de Gertraud, il n’y donna qu’une attention médiocre et l’attribua tout entier à la joie de cette réunion imprévue. C’était, sous ce rapport, l’homme le plus commode qui se pût rencontrer.

— En quittant Paris, je croyais me mettre à l’abri de ces avertissements qui auraient fini par me donner la fièvre chaude… Il y a loin de la rue Dauphine au château de Geldberg !… je ne sais comment cela s’est fait ; les avertissements et les menaces ont trouvé un moyen de m’y suivre… J’ai rencontré ici un brave homme, ou plutôt une demi-douzaine de braves gens, qui renchérissent sur le zèle de mes conseillers de Paris… Si je les croyais, je n’oserais pas mettre un pied devant l’autre !…

— Mais, interrompit Hans Dorn, qui était parvenu à reprendre son sang-froid, depuis que vous êtes au château ne vous est-il pas arrivé assez d’accidents pour donner raison aux craintes de vos amis ?

— Savez-vous donc déjà mes histoires ? demanda Franz en attachant sur l’ancien page de Bluthaupt un regard perçant.

— Non, répliqua ce dernier ; c’est une question que je vous adresse.

— C’est que vous me paraissez savoir bien des choses, père Dorn ! reprit le jeune homme ; en tout cas, vous avez prononcé le mot… ce sont des accidents qui me sont arrivés.